Prise d’acte ou simple démission ? Les critères essentiels en cas de surcharge de travail

Quand une démission devient équivoque en cas de surcharge de travail

  • Une démission n’est valable que si la volonté du salarié est claire et non équivoque selon l’[[article L.1231-1]] du code du travail.
  • La surcharge de travail peut rendre la rupture ambiguë, surtout lorsque des alertes internes ou médicales ont été faites avant la démission.
  • Lorsque des manquements de l’employeur rendent la poursuite du contrat impossible, la démission doit être requalifiée en prise d’acte (effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse).
  • Les éléments contemporains à la rupture sont déterminants : mails d’alerte, visites médicales, évaluations annuelles, heures supplémentaires importantes.
  • La Cour de cassation a rappelé le 13 novembre 2025 que la surcharge de travail persistante et signalée peut suffire à rendre la démission équivoque, même si la difficulté est ancienne.

La question de la qualification d’une rupture à l’initiative du salarié demeure, encore aujourd’hui, l’un des contentieux les plus sensibles en droit du travail. Entre la démission « pure et simple » et la prise d’acte, le juge doit souvent naviguer dans des situations où les déclarations du salarié, la chronologie des échanges et les griefs invoqués ne s’accordent pas immédiatement.


L’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 13 novembre 2025 (n° 23-23.535) illustre parfaitement ces difficultés. Il rappelle avec force les critères permettant de distinguer une démission claire d’un acte équivoque nécessitant une requalification.

Comprendre la distinction entre démission et prise d’acte

Une démission doit être claire, sérieuse et non équivoque

Le principe est ancien et constant : selon l’[[article L.1231-1]] du code du travail, la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de manière « claire et non équivoque » sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Cette exigence n’est pas un formalisme ; elle répond au souci de protéger l’expression du consentement du salarié. Une démission donnée sous l’impulsion de l’émotion, ou dans un contexte conflictuel intense, peut perdre son caractère « clair » et tomber dans la catégorie des actes ambigus.

La jurisprudence considère ainsi qu’une démission prononcée :

  • sous le coup de la colère,
  • dans un contexte de tension,
  • ou en réaction immédiate à un événement professionnel,

peut être analysée non comme une rupture volontaire, mais comme un acte équivoque susceptible de requalification.

A lire : une démission par email est-elle valable juridiquement ?

La prise d’acte : un mécanisme hybride et puissant

Lorsque la démission est remise en cause pour des faits imputables à l’employeur, le juge doit apprécier s’il existe des éléments contemporains ou antérieurs rendant cette rupture équivoque.
L’[[article L.1237-2]] et l’[[article L.1235-1]] encadrent ce mécanisme : si les manquements invoqués sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, la rupture reprend les effets d’une démission.

C’est là que se situe toute la difficulté : comment déterminer si, au moment précis de la rupture, la volonté réelle du salarié était bien de démissionner ? Ou s’il agissait sous la pression d’un contexte professionnel devenu insupportable ?

Les faits de l’affaire : une surcharge de travail ancienne mais persistante

Le litige soumis à la Cour de cassation oppose un salarié ayant plus de vingt-cinq ans d’ancienneté à son employeur, la société Auxitrol. Après des années de surcharge de travail, illustrée par un nombre important d’heures supplémentaires, une absence de relais dans son périmètre d’intervention et une implication sur plusieurs fuseaux horaires, le salarié finit par démissionner en avril 2021.

Six mois plus tard, il saisit la juridiction prud’homale pour :

  • contester la validité de cette démission,
  • obtenir sa requalification en prise d’acte,
  • et faire constater qu’elle devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour d’appel rejette la demande, estimant que la surcharge de travail, ancienne, n’était pas une circonstance déterminante au moment de la démission.

La Cour de cassation cassera cette analyse.

La question centrale : la surcharge de travail constituait-elle une circonstance contemporaine de la démission ?

La position de la cour d’appel : une surcharge trop ancienne

Pour les juges du fond, la surcharge de travail existait depuis « de nombreuses années » et ne pouvait donc pas être retenue comme un élément immédiatement lié à la démission. Elle en déduit que la volonté du salarié était claire.

Cette position, fréquente en pratique, repose sur l’idée que le salarié doit établir un lien direct entre les manquements de l’employeur et la rupture intervenue. L’ancienneté d’un problème viendrait en atténuer l’impact sur la décision du salarié.

La position de la Cour de cassation : le faisceau d’indices démontre une démission équivoque

La chambre sociale adopte une analyse radicalement différente.

Elle rappelle qu’il appartient au juge de rechercher si, au moment où la démission a été donnée, il existait des circonstances rendant la volonté du salarié ambiguë.
Or, dans cette affaire, plusieurs éléments établissaient clairement que la surcharge de travail était non seulement ancienne, mais surtout persistante, reconnue, signalée et objectivée par des documents médicaux.

La Cour relève notamment que le salarié avait :

  • alerté sa hiérarchie par un courriel,
  • sollicité une visite médicale pour surcharge de travail,
  • fait état de difficultés majeures lors d’examens médicaux,
  • et mentionné lors de son entretien annuel une charge mentale permanente.

Ce faisceau d’indices, précis et répété, suffit à démontrer l’existence d’un différend persistant, affectant directement la rupture.

La démission devient alors équivoque : elle doit être analysée comme une prise d’acte.

Pourquoi la surcharge de travail peut justifier une prise d’acte ? Analyse juridique

Une obligation de l’employeur : préserver la santé physique et mentale du salarié

L’[[article L.4121-1]] du code du travail impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé des salariés. Cette obligation s’étend à la santé mentale, ce que confirment de nombreuses décisions relatives au burn-out, au surmenage et au harcèlement moral.

Ainsi, lorsque l’employeur :

  • impose une charge de travail excessive,
  • maintient un salarié dans un périmètre sans « backup »,
  • ou ne répond pas aux alertes de surcharge,

il peut manquer à son obligation de prévention.

La surcharge de travail comme manquement grave

Ce manquement devient susceptible de justifier une prise d’acte lorsque :

  • la surcharge est objectivée (heures supplémentaires, attestations, évaluations),
  • elle a été signalée,
  • et elle a des conséquences démontrables (stress, risque pour la santé, déséquilibre vie professionnelle / personnelle).

Dans cette affaire, le salarié avait formalisé ses alertes. Il ne s’agissait pas d’une difficulté ponctuelle mais d’une situation structurelle, persistante et reconnue.

Le caractère déterminant des alertes médicales

Les rapports des services de santé au travail, les consultations médicales et les déclarations effectuées à cette occasion ont un poids juridique particulier.
Ils permettent au juge de mesurer l’impact réel de la surcharge sur la santé du salarié, mais aussi son antériorité et sa persistance.

Dans cette affaire, l’arrêt de cassation met en avant :

  • les observations médicales,
  • la demande de visite médicale,
  • la mention explicite d’une charge mentale insupportable.

Ce sont ces éléments qui renversent la solution adoptée par la cour d’appel.

Les enseignements pratiques de cet arrêt

Pour les salariés : une démission peut être requalifiée si la volonté n’est pas libre

Un salarié peut demander une requalification si :

  • sa démission a été donnée dans un contexte de conflits ou de pressions,
  • il a alerté son employeur avant la rupture,
  • il existe des preuves contemporaines de difficultés graves,
  • le manquement imputable à l’employeur est de nature à empêcher la poursuite du contrat.

La présence d’alertes médicales renforce significativement la crédibilité du dossier.

Pour les employeurs : l’importance cruciale du suivi de la charge de travail

Cet arrêt rappelle la nécessité :

  • d’évaluer régulièrement la charge de travail,
  • de répondre aux alertes formalisées,
  • de proposer des mesures correctives,
  • de documenter toutes les actions de prévention.

L’inaction expose à des contentieux lourds, pouvant aboutir à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire à un contentieux en responsabilité pour manquement à l’obligation de sécurité.

Un arrêt structurant sur la démission équivoque et la surcharge de travail

L’arrêt du 13 novembre 2025 apporte une clarification essentielle :
une surcharge de travail persistante, signalée et documentée peut rendre une démission équivoque, même si les difficultés sont anciennes.
Ce n’est pas l’ancienneté du problème qui compte, mais sa persistance et son impact au moment de la rupture.

En rappelant ce principe, la Cour de cassation renforce la protection des salariés tout en encourageant les employeurs à agir de manière proactive sur la charge de travail, en conformité avec leurs obligations légales.

FAQ – Démission équivoque et surcharge de travail

1. Dans quels cas une démission peut-elle être considérée comme équivoque ?

Une démission devient équivoque lorsqu’elle n’exprime plus une volonté ferme, libre et non ambiguë de rompre le contrat. La jurisprudence retient ce caractère ambigu lorsque le salarié se trouve dans un contexte conflictuel ou de tension extrême, ou lorsqu’il invoque des manquements graves imputables à l’employeur. La Cour de cassation rappelle que le juge doit tenir compte de toutes les circonstances antérieures ou contemporaines à la rupture : alertes écrites, demandes de visite médicale, courriels de signalement, évaluations annuelles mentionnant des difficultés majeures. Si ces éléments démontrent que la démission a été donnée dans un climat de souffrance professionnelle, elle ne peut plus être analysée comme un acte libre.

2. La surcharge de travail peut-elle justifier la requalification d’une démission en prise d’acte ?

Oui, sous certaines conditions. La surcharge de travail peut constituer un manquement grave de l’employeur à son obligation de sécurité prévue par l’[[article L.4121-1]] du code du travail. Encore faut-il qu’elle soit objectivée (heures supplémentaires anormalement élevées, périmètre de travail excessif, absence de relais…), signalée et persistante. L’arrêt du 13 novembre 2025 illustre cela : la Cour a jugé qu’une surcharge ancienne mais toujours actuelle, évoquée dans les bilans médicaux, les courriels d’alerte et l’entretien annuel, rendait la démission équivoque. Si la surcharge rend la poursuite du contrat impossible, la requalification en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse devient possible.

3. Quels éléments doivent être réunis pour que le juge requalifie une démission en prise d’acte ?

Trois conditions doivent être constatées :

  • Un différend existant au moment de la démission, matérialisé par des preuves contemporaines (rapports médicaux, courriers, évaluations, alertes RH).
  • Des manquements imputables à l’employeur, suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, au sens de l’[[article L.1235-1]].
  • Une volonté équivoque, c’est-à-dire une rupture qui n’est pas motivée par un départ volontaire mais par la dégradation des conditions de travail.
    Le juge examine non seulement les circonstances du jour de la démission, mais aussi celles qui l’ont précédée, pour apprécier la cohérence du comportement du salarié. Une surcharge de travail persistante, ignorée par l’employeur malgré les alertes, répond souvent à ces critères.

4. Comment un salarié peut-il prouver que sa démission n’était pas volontaire ?

La preuve repose principalement sur des éléments écrits ou des documents émanant de tiers :

  • mails d’alerte adressés à la hiérarchie ;
  • demandes de visite médicale ou observations des services de santé au travail ;
  • évaluations annuelles mentionnant une charge mentale ou une surcharge de travail ;
  • attestations ou relevés d’heures supplémentaires ;
  • notes internes ou échanges démontrant un périmètre déraisonnable.
    Plus les preuves sont antérieures et proches de la date de démission, plus elles permettent de démontrer un lien direct entre les manquements et la rupture. Dans l’affaire du 13 novembre 2025, la multiplicité et la cohérence des alertes médicales et professionnelles ont été déterminantes.

5. Quels sont les effets pour l’employeur si la démission est requalifiée en prise d’acte ?

Si le juge considère que la démission doit être analysée comme une prise d’acte fondée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur peut alors être condamné à verser :

  • une indemnité compensatrice de préavis ;
  • une indemnité de licenciement ;
  • des dommages-intérêts pour licenciement injustifié (barème Macron – [[article L.1235-3]]),
  • ainsi que d’éventuels rappels de salaires liés aux heures supplémentaires.
    En outre, la condamnation repose souvent sur un manquement à l’obligation de sécurité, ce qui peut entraîner des conséquences en matière de responsabilité civile, voire pénale en cas de mise en danger manifeste.