
La question de la qualification d’une rupture à l’initiative du salarié demeure, encore aujourd’hui, l’un des contentieux les plus sensibles en droit du travail. Entre la démission « pure et simple » et la prise d’acte, le juge doit souvent naviguer dans des situations où les déclarations du salarié, la chronologie des échanges et les griefs invoqués ne s’accordent pas immédiatement.
L’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 13 novembre 2025 (n° 23-23.535) illustre parfaitement ces difficultés. Il rappelle avec force les critères permettant de distinguer une démission claire d’un acte équivoque nécessitant une requalification.
Le principe est ancien et constant : selon l’[[article L.1231-1]] du code du travail, la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de manière « claire et non équivoque » sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Cette exigence n’est pas un formalisme ; elle répond au souci de protéger l’expression du consentement du salarié. Une démission donnée sous l’impulsion de l’émotion, ou dans un contexte conflictuel intense, peut perdre son caractère « clair » et tomber dans la catégorie des actes ambigus.
La jurisprudence considère ainsi qu’une démission prononcée :
peut être analysée non comme une rupture volontaire, mais comme un acte équivoque susceptible de requalification.
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Lorsque la démission est remise en cause pour des faits imputables à l’employeur, le juge doit apprécier s’il existe des éléments contemporains ou antérieurs rendant cette rupture équivoque.
L’[[article L.1237-2]] et l’[[article L.1235-1]] encadrent ce mécanisme : si les manquements invoqués sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, la rupture reprend les effets d’une démission.
C’est là que se situe toute la difficulté : comment déterminer si, au moment précis de la rupture, la volonté réelle du salarié était bien de démissionner ? Ou s’il agissait sous la pression d’un contexte professionnel devenu insupportable ?
Le litige soumis à la Cour de cassation oppose un salarié ayant plus de vingt-cinq ans d’ancienneté à son employeur, la société Auxitrol. Après des années de surcharge de travail, illustrée par un nombre important d’heures supplémentaires, une absence de relais dans son périmètre d’intervention et une implication sur plusieurs fuseaux horaires, le salarié finit par démissionner en avril 2021.
Six mois plus tard, il saisit la juridiction prud’homale pour :
La cour d’appel rejette la demande, estimant que la surcharge de travail, ancienne, n’était pas une circonstance déterminante au moment de la démission.
La Cour de cassation cassera cette analyse.

Pour les juges du fond, la surcharge de travail existait depuis « de nombreuses années » et ne pouvait donc pas être retenue comme un élément immédiatement lié à la démission. Elle en déduit que la volonté du salarié était claire.
Cette position, fréquente en pratique, repose sur l’idée que le salarié doit établir un lien direct entre les manquements de l’employeur et la rupture intervenue. L’ancienneté d’un problème viendrait en atténuer l’impact sur la décision du salarié.
La chambre sociale adopte une analyse radicalement différente.
Elle rappelle qu’il appartient au juge de rechercher si, au moment où la démission a été donnée, il existait des circonstances rendant la volonté du salarié ambiguë.
Or, dans cette affaire, plusieurs éléments établissaient clairement que la surcharge de travail était non seulement ancienne, mais surtout persistante, reconnue, signalée et objectivée par des documents médicaux.
La Cour relève notamment que le salarié avait :
Ce faisceau d’indices, précis et répété, suffit à démontrer l’existence d’un différend persistant, affectant directement la rupture.
La démission devient alors équivoque : elle doit être analysée comme une prise d’acte.
L’[[article L.4121-1]] du code du travail impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé des salariés. Cette obligation s’étend à la santé mentale, ce que confirment de nombreuses décisions relatives au burn-out, au surmenage et au harcèlement moral.
Ainsi, lorsque l’employeur :
il peut manquer à son obligation de prévention.
Ce manquement devient susceptible de justifier une prise d’acte lorsque :
Dans cette affaire, le salarié avait formalisé ses alertes. Il ne s’agissait pas d’une difficulté ponctuelle mais d’une situation structurelle, persistante et reconnue.
Les rapports des services de santé au travail, les consultations médicales et les déclarations effectuées à cette occasion ont un poids juridique particulier.
Ils permettent au juge de mesurer l’impact réel de la surcharge sur la santé du salarié, mais aussi son antériorité et sa persistance.
Dans cette affaire, l’arrêt de cassation met en avant :
Ce sont ces éléments qui renversent la solution adoptée par la cour d’appel.
Un salarié peut demander une requalification si :
La présence d’alertes médicales renforce significativement la crédibilité du dossier.
Cet arrêt rappelle la nécessité :
L’inaction expose à des contentieux lourds, pouvant aboutir à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire à un contentieux en responsabilité pour manquement à l’obligation de sécurité.
L’arrêt du 13 novembre 2025 apporte une clarification essentielle :
une surcharge de travail persistante, signalée et documentée peut rendre une démission équivoque, même si les difficultés sont anciennes.
Ce n’est pas l’ancienneté du problème qui compte, mais sa persistance et son impact au moment de la rupture.
En rappelant ce principe, la Cour de cassation renforce la protection des salariés tout en encourageant les employeurs à agir de manière proactive sur la charge de travail, en conformité avec leurs obligations légales.
Une démission devient équivoque lorsqu’elle n’exprime plus une volonté ferme, libre et non ambiguë de rompre le contrat. La jurisprudence retient ce caractère ambigu lorsque le salarié se trouve dans un contexte conflictuel ou de tension extrême, ou lorsqu’il invoque des manquements graves imputables à l’employeur. La Cour de cassation rappelle que le juge doit tenir compte de toutes les circonstances antérieures ou contemporaines à la rupture : alertes écrites, demandes de visite médicale, courriels de signalement, évaluations annuelles mentionnant des difficultés majeures. Si ces éléments démontrent que la démission a été donnée dans un climat de souffrance professionnelle, elle ne peut plus être analysée comme un acte libre.
Oui, sous certaines conditions. La surcharge de travail peut constituer un manquement grave de l’employeur à son obligation de sécurité prévue par l’[[article L.4121-1]] du code du travail. Encore faut-il qu’elle soit objectivée (heures supplémentaires anormalement élevées, périmètre de travail excessif, absence de relais…), signalée et persistante. L’arrêt du 13 novembre 2025 illustre cela : la Cour a jugé qu’une surcharge ancienne mais toujours actuelle, évoquée dans les bilans médicaux, les courriels d’alerte et l’entretien annuel, rendait la démission équivoque. Si la surcharge rend la poursuite du contrat impossible, la requalification en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse devient possible.
Trois conditions doivent être constatées :
La preuve repose principalement sur des éléments écrits ou des documents émanant de tiers :
Si le juge considère que la démission doit être analysée comme une prise d’acte fondée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur peut alors être condamné à verser :