Accidents du travail graves ou mortels : vers une réponse pénale graduée et une prévention renforcée
Ce que change l’instruction conjointe DGT/DACG pour les accidents du travail graves ou mortels
Verbalisation accrue, même sans accident : l’inspection du travail est invitée à dresser PV pour les manquements les plus dangereux (chutes de hauteur, équipements non conformes, formation, expositions CMR, jeunes/intérimaires), sur le fondement de L. 8113-7 C. trav.
Transaction pénale privilégiée en l’absence d’accident : procédure initiée par la DREETS, homologuée par le parquet (L. 8114-4 s. C. trav.) ; réponse rapide + régularisation obligatoire + amende.
Obligations employeur réaffirmées : prévention et sécurité au cœur (L. 4121-1 s. C. trav.) ; DUERP à jour, équipements vérifiés, formations tracées, maîtrise des expositions CMR avec preuve documentaire exigible. Nécessaire de contacter un avocat en droit du travail à Versailles
Coordination parquet–inspection renforcée : ligne “réponse pénale graduée”, accompagnement des victimes, fiches pratiques à venir pour homogénéiser les pratiques.
Exposition pénale clarifiée : sanctions du C. trav. (L. 4741-1 s.) et, en cas d’AT grave/mortel, possibles qualifications du C. pén. (blessures/homicide involontaires 221-6, 222-19, mise en danger 223-1) y compris pour la personne morale (121-2).
Une instruction conjointe pour coordonner prévention et répression
Annoncée à l’été 2025, l’instruction conjointe DGT/DACG vise un double objectif : mieux prévenir les accidents du travail graves ou mortels et accélérer la réponse pénale lorsque des manquements sont constatés. Elle s’adresse aux parquets et aux agents de contrôle de l’inspection du travail pour renforcer la coordination opérationnelle, fluidifier les échanges d’information et homogénéiser les pratiques. En filigrane, le message est clair : la prévention n’est effective que si la répression des infractions les plus graves est certaine, rapide et proportionnée.
Ce recentrage s’inscrit dans le cadre juridique existant : l’employeur demeure tenu d’une obligation générale de sécurité et de prévention (C. trav., art. L. 4121-1 à L. 4121-5) ; le non-respect des règles applicables est pénalement sanctionné (notamment C. trav., art. L. 4741-1 et s.), tandis que les agents de contrôle sont habilités à constater les infractions et à dresser procès-verbal (C. trav., art. L. 8113-7).
Une verbalisation accrue des manquements les plus dangereux, y compris sans accident
L’instruction recommande aux inspecteurs du travail de recourir plus systématiquement à la verbalisation pour les manquements qui exposent gravement la santé ou la sécurité des travailleurs, même en l’absence d’accident. Cette orientation rompt avec une approche trop exclusivement curative et replace la sanction au cœur de la politique de prévention primaire.
Sont particulièrement ciblés :
Chutes de hauteur : dispositifs de protection collective et individuelle, planification des travaux en sécurité (C. trav., principes généraux de prévention, art. L. 4121-2 ; obligations techniques, partie R. 4534 pour les chantiers).
Équipements de travail et moyens de protection non conformes (mise à disposition, vérifications, maintenance : C. trav., art. R. 4321-1 et s.).
Formation à la sécurité insuffisante (obligation d’information et de formation adaptée, C. trav., art. L. 4141-2).
Exposition à des agents CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) : évaluation des risques, substitution, mesures techniques, suivi (C. trav., art. L. 4412-1 et s., et R. 4412-59 et s.).
Protection des jeunes travailleurs et des intérimaires, publics particulièrement vulnérables (jeunes : C. trav., art. L. 4153-8 et s. ; intérim : C. trav., art. L. 1251-21 et s.).
La logique est assumée : réduire l’accidentologie en amont par une pression pénale visible et lisible. En pratique, un procès-verbal (PV) bien documenté, circonstancié et étayé techniquement est la pierre angulaire d’une réponse efficace du parquet.
La transaction pénale privilégiée en l’absence d’accident
En l’absence d’accident, l’instruction préconise d’utiliser plus largement la transaction pénale en droit pénal du travail, procédure initiée par la DREETS sur la base d’un PV de l’inspection et homologuée par le procureur de la République (v. C. trav., art. L. 8114-4 et s.). Cet outil présente plusieurs avantages :
Célérité : une première réponse pénale rapide qui évite l’enlisement procédural.
Effectivité : la transaction est assortie du paiement d’une amende et de la régularisation des manquements dans un délai déterminé.
Pédagogie : elle place l’employeur face à ses obligations et l’incite à mettre son système de prévention en conformité (DUERP, formation, contrôles, procédures).
La transaction n’est ni une indulgence ni une dépénalisation : son homologation par le parquet lui confère une authentique portée répressive et, en cas d’inexécution, l’option pénale classique demeure ouverte.
Les conséquences pour l’employeur : obligations et exposition au risque pénal
Le cadre légal demeure inchangé, mais son interprétation opérationnelle se durcit. L’employeur doit pouvoir démontrer, preuves à l’appui, la mise en œuvre des mesures prévues par le Code du travail :
une évaluation des risques à jour (DUERP) et des plans d’action suivis (C. trav., art. L. 4121-3 ; R. 4121-1 et s.) ;
des procédures et vérifications adaptées pour les équipements de travail (registre, contrôle périodique ; R. 4323-1 et s.) ;
des formations sécurité traçables (programmes, émargements ; L. 4141-2) ;
des mesures de substitution/réduction de l’exposition aux CMR, avec suivi médical et mesures techniques documentées (L. 4412-1 et s.) ;
une organisation spécifique pour les jeunes et intérimaires (évaluation des postes interdits/strictement encadrés, accueil sécurité renforcé).
En cas de manquement, l’employeur s’expose à des contraventions ou délits prévus par le Code du travail (L. 4741-1 et s.), la responsabilité pénale de la personne morale pouvant être engagée (C. pén., art. 121-2). Après un accident grave ou mortel, l’homicide ou les blessures involontaires (C. pén., art. 221-6, 222-19) ou la mise en danger délibérée d’autrui (C. pén., art. 223-1) peuvent être caractérisés, sous réserve des éléments de faute, de causalité et de prévisibilité.
Une méthode opérationnelle pour se mettre en conformité
Au regard de l’instruction, une approche structurée et probatoire est recommandée. À titre pratique :
Auditer les postes à risques (travaux en hauteur, machines, agents chimiques) et mettre à jour le DUERP, en priorisant les risques majeurs.
Planifier des actions correctives datées et traçables : protections collectives, consignations, contrôles, plans de prévention, consignation des vérifications.
Former et accueillir : sécurité initiale et recyclages, accueil renforcé des jeunes et intérimaires, habilitations, attestations signées.
Documenter la conformité des équipements (déclarations CE, notices, registres, vérifications périodiques) et des EPI (choix, affectation, entretien).
Encadrer les CMR : substitution lorsque possible, captage à la source, mesures d’exposition, suivi individuel renforcé, tenue des fiches de données de sécurité.
Organiser la preuve : procédures écrites, réunions CSSCT, consignations d’actions, tableaux de bord, archivage sécurisé.
Cette démonstration écrite est essentielle. Elle conditionne la crédibilité de la prévention en interne, mais aussi la défense en cas de contrôle, de transaction ou de poursuites.
Une réponse pénale graduée au service d’une prévention effective
La philosophie de l’instruction conjointe tient en trois axes : anticiper, sanctionner, accompagner. Anticiper, par une prévention outillée et probante ; sanctionner, en verbalisation prioritaire des manquements graves même sans accident ; accompagner, par une transaction pénale permettant un retour rapide à la conformité, tout en garantissant une sanction effective et proportionnée.
Pour les employeurs, l’enjeu est d’élever le niveau de preuve de la prévention. Pour les directions QHSE et RH, c’est l’occasion de revisiter la cartographie des risques, de sécuriser les procédures et de renforcer la culture sécurité. La prévention n’est pas un corpus théorique ; c’est une organisation vivante, documentée et vérifiable. À défaut, la réponse pénale graduée trouvera à s’appliquer, y compris en amont des accidents.
À retenir
La verbalisation des infractions graves est encouragée même sans accident (C. trav., L. 8113-7).
La transaction pénale est privilégiée en l’absence d’accident (DREETS initiatrice, homologation du procureur ; C. trav., L. 8114-4 et s.).
Les obligations de prévention et de formation demeurent centrales (C. trav., L. 4121-1 et s., L. 4141-2 ; équipements R. 4321-1 et s. ; CMR L. 4412-1 et s.).
En cas d’accident grave/mortel, des qualifications pénales du Code pénal peuvent s’ajouter (C. pén., 221-6, 222-19, 223-1).
La clé de voûte reste la preuve : DUERP à jour, actions planifiées, formations tracées, contrôles documentés.
FAQ – Accidents du travail graves ou mortels : prévention et réponse pénale
1. Quelles sont les obligations générales de l’employeur en matière de prévention des accidents du travail graves ou mortels ?
L’employeur est tenu d’une obligation générale de sécurité et de prévention (C. trav., art. L. 4121-1 et s.), qui impose de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Cela recouvre notamment :
l’évaluation des risques (DUERP),
la mise en œuvre d’actions de prévention adaptées,
la formation et l’information des salariés,
l’organisation de moyens de protection collective et individuelle. Le défaut de respect de ces obligations expose l’employeur à des sanctions civiles (responsabilité pour faute inexcusable) et pénales.
2. Que prévoit l’instruction conjointe DGT/DACG de juillet 2025 pour renforcer la lutte contre les accidents du travail graves ou mortels ?
L’instruction encourage une réponse pénale graduée :
recours accru à la verbalisation des infractions graves par l’inspection du travail, même en l’absence d’accident,
coordination renforcée entre inspection et parquets,
recours facilité à la transaction pénale en matière de droit du travail, permettant une sanction rapide et une mise en conformité de l’entreprise. L’objectif est d’améliorer la prévention en amont et de sanctionner plus efficacement les manquements.
3. Quels manquements sont considérés comme prioritaires pour la verbalisation par l’inspection du travail ?
L’instruction cible les infractions présentant un risque particulièrement grave pour les travailleurs, notamment :
le non-respect des règles relatives aux travaux en hauteur (chutes),
l’utilisation d’équipements de travail ou moyens de protection non conformes,
l’absence ou l’insuffisance de formation à la sécurité,
l’exposition des salariés à des agents cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR),
la protection insuffisante des jeunes travailleurs et des travailleurs intérimaires.
4. Qu’est-ce que la transaction pénale en droit du travail et dans quels cas est-elle utilisée ?
La transaction pénale est une procédure prévue par le Code du travail (art. L. 8114-4 et s.) permettant au procureur de la République, sur proposition de la DREETS, d’homologuer une sanction négociée. Elle comprend :
le paiement d’une amende transactionnelle,
la régularisation des manquements constatés,
un délai fixé pour la mise en conformité. Cette procédure est particulièrement adaptée à la répression des infractions à la réglementation de sécurité en l’absence d’accident, car elle assure une réponse pénale rapide et effective.
5. Quelles sont les sanctions encourues en cas d’accident du travail grave ou mortel imputable à un manquement de l’employeur ?
Outre les sanctions administratives et financières, l’employeur peut voir engagée sa responsabilité pénale :
contraventions ou délits prévus par le Code du travail (C. trav., L. 4741-1 et s.),
poursuites pour blessures ou homicide involontaires (C. pén., art. 221-6 et 222-19),
qualification de mise en danger délibérée d’autrui (C. pén., art. 223-1). La personne morale peut aussi être poursuivie (C. pén., art. 121-2). La gravité des sanctions dépend du degré de négligence, de la causalité avec l’accident et du niveau de preuve de la prévention mise en œuvre.