Quels critères d’évaluation professionnelle sont considérés comme illicites ?
Comment identifier des critères d’évaluation professionnelle illicites ?
Pour répondre à la question centrale, ce bloc synthétise les principes légaux issus de la jurisprudence, notamment l’arrêt du 15 octobre 2025. Les critères d’évaluation ne peuvent porter que sur des éléments objectivables, liés à l’activité professionnelle, et dépourvus de dimension morale ou psychologique.
Un critère est illicite s’il porte sur la personnalité du salarié, comme « honnêteté », « optimisme » ou « bon sens », notions jugées subjectives et non mesurables.
Les critères doivent être précis, objectifs et pertinents, conformément aux articles [[L.1121-1]], [[L.1222-2]] et [[L.1222-3 du Code du travail]].
Tout dispositif reposant sur des critères subjectifs peut être invalidé dans son ensemble, même si seule une partie est contestée, comme l’a jugé la Cour de cassation.
L’évaluation doit être strictement liée à l'activité professionnelle, et non à l’éthique personnelle, aux traits psychologiques ou à un comportement idéal nébuleux.
Soft skills et comportements peuvent être évalués, mais uniquement lorsqu’ils sont définis par des indicateurs observables et reliés à des tâches professionnelles précises.
1. Le cadre juridique de l’évaluation : un encadrement strict au croisement du pouvoir de direction et des libertés individuelles
1.1. Le pouvoir d’évaluation : un attribut du pouvoir de direction, mais pas un pouvoir libre
L’évaluation du salarié découle du pouvoir de direction de l’employeur, lequel lui permet d’organiser, contrôler et apprécier la prestation de travail. Toutefois, ce pouvoir se heurte à plusieurs textes protecteurs essentiels :
Article [[L.1121-1 du Code du travail]] : toute restriction aux droits doit être nécessaire et proportionnée.
Article [[L.1222-2]] : obligation d’information préalable des salariés sur les méthodes d’évaluation.
Article [[L.1222-3]] : obligation de pertinence et d’adéquation des méthodes et techniques d’évaluation à la finalité poursuivie.
Ces règles traduisent un principe central : 👉 l’employeur ne peut évaluer que des compétences professionnelles, jamais la personnalité.
La jurisprudence avait déjà souligné cette exigence : « les méthodes d’évaluation doivent reposer sur des critères précis, objectifs et pertinents » [[Cass. soc., 14 déc. 2015, n°14-17.152]].
L’arrêt de 2025 vient consolider cette exigence dans un contexte où les “soft skills” sont devenus omniprésents.
1.2. L’évolution des pratiques RH : entre évaluation des compétences et dérive psychologisante
Depuis dix ans, les référentiels de compétences ont profondément évolué. Les entreprises évaluent désormais :
les compétences techniques,
les compétences transversales,
les compétences comportementales (adaptabilité, coopération, leadership),
et même parfois les qualités personnelles.
Cet élargissement comporte un risque juridique majeur : l’amalgame entre compétence professionnelle et qualité personnelle, qui constitue une atteinte illégitime à la vie privée.
Les notions en cause dans l’arrêt « honnêteté », « optimisme », « simplicité », « bon sens » illustrent parfaitement cette dérive. Elles :
échappent à toute mesure objective,
renvoient à une perception morale ou psychologique,
ne s’inscrivent pas dans la finalité de l’évaluation professionnelle,
introduisent un risque de discrimination indirecte.
Ainsi, le juge rappelle que la personnalité ne peut être évaluée seule la manière dont le salarié exécute sa prestation peut l’être.
1.3. L’arrêt du 15 octobre 2025 : une analyse structurelle du dispositif d’évaluation
un volet portant sur les objectifs professionnels,
un volet consacré aux « compétences comportementales groupe ».
Le syndicat CFDT a contesté ce second volet. La cour d'appel, puis la Cour de cassation, donnent raison au syndicat.
La Cour relève trois éléments essentiels :
1. Les critères comportementaux ne sont pas accessoires.
Ils occupent une place importante dans la grille, influant potentiellement sur l’évaluation globale.
2. Les critères sont trop vagues pour permettre une évaluation impartiale.
Aucune définition opérationnelle de « bon sens » ou « honnêteté » n’offre une base d’appréciation commune.
3. L’absence de pondération identifiable renforce l’opacité du système.
Le salarié ne peut comprendre l’impact réel de ces critères sur sa progression professionnelle, ce qui contrevient à l’obligation de transparence.
Dès lors, la Cour valide l’interdiction intégrale du dispositif.
2. Les implications pratiques : comment sécuriser les outils d’évaluation et éviter les risques juridiques ?
L’intérêt de cet arrêt dépasse largement le cas d’espèce. Il constitue un cadre de référence que toute entreprise doit intégrer dans sa gouvernance RH.
2.1. Repenser entièrement les référentiels d’évaluation : ce qui doit disparaître, ce qui doit être reformulé
Les critères interdits (ou nécessitant une reformulation profonde)
« honnêteté »
« optimisme »
« loyauté »
« simplicité » / « humilité »
« attitude positive »
« bon sens »
« exemplarité » (sans définition concrète)
Ces notions renvoient à une appréciation morale ou psychologique. Elles ne peuvent être évaluées sans porter atteinte aux droits fondamentaux du salarié.
Les critères licites, à condition d’être définis précisément
✔ « respecte les délais de transmission des rapports » ✔ « suit les procédures de sécurité sans rappel » ✔ « communique les informations essentielles à l’équipe » ✔ « adapte son organisation en fonction des contraintes opérationnelles » ✔ « résout efficacement les problèmes courants liés au poste »
Ces critères présentent trois qualités indispensables : objectivité, mesurabilité et lien explicite avec l’activité.
2.2. Le rôle du CSE : une vigilance accrue
L’article [[L.1222-2]] impose une information voire une consultation du CSE lors de l’introduction ou de la modification d’une méthode d’évaluation.
En pratique :
toute mise à jour des formulaires d’entretien doit être soumise au CSE ;
tout déploiement d’un outil numérique d’évaluation (ATS, HRIS, plateforme) doit être examiné ;
l’absence de consultation peut invalider le dispositif entier.
Le CSE devient donc un acteur clé pour sécuriser juridiquement l’évaluation.
2.3. Les managers : un maillon crucial mais souvent insuffisamment formé
fragiliser un licenciement pour insuffisance professionnelle.
Une formation doit couvrir :
les critères autorisés / interdits,
les règles de traçabilité,
les risques contentieux,
les bonnes pratiques rédactionnelles.
2.4. L’articulation avec le contentieux prud’homal : risques et stratégies
Un dispositif d’évaluation illicite peut fragiliser toute mesure prise ultérieurement. Les juges prud’homaux se réfèrent régulièrement à la licéité du système d’évaluation pour apprécier :
En matière disciplinaire :
Un avertissement fondé sur un critère flou peut être annulé.
En matière de licenciement pour insuffisance professionnelle :
Si l’insuffisance est démontrée à partir de critères illicites, le licenciement peut être dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En matière de discrimination :
Un critère comportemental subjectif peut constituer un biais discriminatoire indirect au sens de l’article [[L.1132-1]].
En matière de harcèlement moral :
L’utilisation de critères moralisants ou humiliants peut alimenter un faisceau d’indices.
Ce risque global justifie que les entreprises procèdent à un audit juridique complet.
2.5. Les outils numériques d’évaluation : une vigilance spécifique
La digitalisation accélérée des RH a conduit à l’adoption de plateformes intégrant :
des critères prédéfinis,
des suggestions de comportement,
des échelles d’attitude,
parfois même des analyses comportementales IA.
Ces outils sont souvent inspirés de pratiques anglo-saxonnes et peuvent inclure des critères contraires au droit français.
L’entreprise doit donc :
contrôler chaque item,
vérifier la pondération,
analyser les suggestions automatiques,
documenter la conformité.
À défaut, elle s’expose à des risques importants.
L’arrêt du 15 octobre 2025 constitue une décision de principe qui redéfinit strictement le périmètre autorisé de l’évaluation professionnelle. Il rappelle que l’évaluation ne peut jamais devenir un jugement moral, une appréciation psychologique ou un outil d’influence comportementale. Elle doit rester ancrée dans l’activité, objectivable, mesurable et transparente.
Pour les DRH, les directions d’entreprise et les avocats, la priorité est triple :
Cet arrêt marque une étape importante dans la protection des droits des salariés et dans la professionnalisation des pratiques RH.
FAQ – 5 questions essentielles sur les critères d’évaluation illicites
1. Quels sont les critères d’évaluation considérés comme illicites par la Cour de cassation ?
Sont illicites les critères qui reposent sur des notions vagues, moralisantes ou psychologiques. L’arrêt du 15 octobre 2025 a jugé illicites les items « optimisme », « honnêteté » et « bon sens » car :
ils ne sont ni mesurables ni objectivables ;
ils portent sur la personnalité, non sur les compétences ;
ils introduisent un biais subjectif incompatible avec les obligations légales de transparence et d’objectivité ;
ils ne permettent pas au salarié de comprendre ce qui est attendu de lui. Tout critère qui ne repose pas sur un fait observable et professionnel doit être écarté.
2. Peut-on encore évaluer les soft skills ou compétences comportementales ?
Oui, mais sous conditions strictes. L’évaluation des comportements professionnels reste possible si :
chaque critère est défini de manière claire et opérationnelle ;
les comportements évalués sont directement liés au poste (ex : coopération, transmission d’informations, respect des processus internes) ;
l’appréciation repose sur des faits, non sur des impressions ;
l’entreprise est en mesure de démontrer le lien entre critère et performance. Ce n’est donc pas l’évaluation des comportements qui est interdite, mais l’usage de notions floues ou à connotation morale.
3. Quels risques juridiques encourt un employeur en cas d’évaluation fondée sur des critères illicites ?
Les risques sont importants :
annulation totale du dispositif d’évaluation, comme dans l’affaire jugée en 2025 ;
annulation d’un avertissement, si celui-ci repose sur une évaluation irrégulière ;
invalidation d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, faute d’évaluation conforme ;
risques de discrimination indirecte, notamment si le critère est lié à des caractéristiques personnelles protégées ;
dommages-intérêts pour atteinte à une liberté individuelle. Le contentieux peut donc être lourd et structurant pour l’entreprise.
4. Comment reformuler un critère illicite de manière conforme au droit ?
Il suffit généralement de transformer une notion morale en un comportement professionnel observable. Exemples :
au lieu de « honnêteté » → « respecte les règles de déclaration des incidents ou anomalies » ;
au lieu de « bon sens » → « identifie et applique les solutions prévues par les procédures internes » ;
au lieu de « optimisme » → « adopte une communication professionnelle claire et constructive dans l’équipe ». La règle : définir ce que l’on observe, pas ce que l’on devine. Un critère licite doit pouvoir être illustré par un exemple factuel.
5. Le CSE doit-il être consulté lorsqu’un dispositif d’évaluation est modifié ?
Oui. L’article [[L.1222-2 du Code du travail]] impose d’informer les salariés sur les méthodes d’évaluation utilisées. Lorsque le dispositif est modifié ou lorsque des critères sont ajoutés, supprimés ou reformulés, l’employeur doit consulter le comité social et économique si ces méthodes affectent :
les conditions de travail ;
la gestion des compétences ;
la politique d’évaluation ;
les processus RH. Un manquement à cette obligation peut rendre la méthode d’évaluation illicite, même si les critères eux-mêmes sont objectivement valides.