La jurisprudence de la Cour de cassation est constante : la lettre de licenciement n’est pas tenue de faire figurer la date des faits reprochés. Seule importe la précision et la vérifiabilité des griefs, afin que le salarié puisse en comprendre la portée et que le juge puisse exercer son contrôle. Toutefois, certaines précautions pratiques s’imposent.
L’exigence de motivation de la lettre de licenciement constitue un principe fondamental du droit du travail. Codifiée à l’article L. 1232-6 du code du travail, cette obligation impose à l’employeur d’énoncer les motifs à l’appui de la rupture. Si la précision et la vérifiabilité des griefs sont des conditions de validité reconnues par la jurisprudence constante de la chambre sociale, la question de la datation des faits reprochés fait l’objet d’un traitement spécifique. Doit-elle impérativement figurer dans la lettre ? À défaut, la procédure est-elle irrégulière ? L’analyse du droit positif et de la jurisprudence la plus récente permet d’apporter une réponse nuancée.
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L’article L. 1232-6 du code du travail prévoit que « la lettre de licenciement énonce le ou les motifs invoqués par l’employeur ». Cette formulation a conduit la jurisprudence à exiger que la lettre de licenciement contienne des motifs « suffisamment précis pour être matériellement vérifiables » [[Cass. soc., 14 mai 1996, n°93-40.279]].
En d’autres termes, il ne peut s’agir d’appréciations générales, subjectives ou d’impressions. Le grief doit être exprimé de manière concrète, de sorte qu’il puisse faire l’objet d’un débat contradictoire devant le juge.
La lettre de licenciement fixe les termes du litige. Elle permet au salarié de connaître les motifs de la rupture afin d’en assurer la contestation éventuelle. Elle permet également au juge d’exercer son contrôle sur le caractère réel et sérieux de la rupture. À ce titre, la motivation constitue une exigence d’ordre public de protection.
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Depuis plusieurs années, la Cour de cassation a admis que la lettre de licenciement n’a pas à comporter la date précise des faits reprochés. Dans un arrêt fondateur, la chambre sociale a jugé que « la datation des faits invoqués dans la lettre de licenciement n’est pas une condition de sa validité » [[Cass. soc., 11 juill. 2012, n°10-28.798]].
Cette position a été réaffirmée à de nombreuses reprises, et notamment dans un arrêt du 6 mai 2025 [[Cass. soc., 6 mai 2025, n°23-19.214]], dans lequel la Cour a cassé une décision d’appel ayant déclaré irrégulier un licenciement au motif que les faits reprochés n’étaient pas datés. Pour la Haute juridiction, le seul critère à retenir est la vérifiabilité et la précision du grief, non sa localisation dans le temps.
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La Cour de cassation considère qu’en cas de litige, l’employeur est en droit de fournir toutes les circonstances de fait permettant de justifier les motifs énoncés dans la lettre, même si celles-ci ne figurent pas dans le courrier initial [[Cass. soc., 15 oct. 2013, n°11-18.977]].
Il revient alors au juge du fond d’apprécier souverainement le caractère réel et sérieux du licenciement, sur la base des éléments produits pendant l’instance. Ainsi, l’absence de date dans la lettre n’a d’incidence ni sur la régularité de la procédure, ni sur la licéité de la rupture, dès lors que les faits reprochés sont clairement identifiables.
Si la jurisprudence n’impose pas de dater les faits, la pratique invite néanmoins à la prudence. Une datation précise peut s’avérer utile, notamment :
En matière de faute grave, l’élément temporel peut être déterminant. Une faute grave impose une rupture immédiate. Il est donc préférable d’indiquer la date des faits pour démontrer que le licenciement est intervenu sans délai excessif [[Cass. soc., 26 févr. 1991, n°88-44.188]].
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La datation peut être directe (ex. : « Le 3 avril 2024, vous avez… ») ou indirecte (ex. : « À l’occasion de la campagne commerciale de mai 2024… »). L’essentiel est de permettre une identification claire des faits. À défaut, l’employeur doit pouvoir les établir par des éléments objectifs : courriels, attestations, rapports, etc.
Une lettre de licenciement rédigée avec rigueur limite le risque contentieux. Elle constitue la première ligne de défense de l’entreprise.
La lettre de licenciement n’a pas à mentionner la date précise des faits reprochés, dès lors que les griefs sont exprimés de façon claire, circonstanciée et matériellement vérifiable. L’exigence légale porte sur la précision du motif, non sur sa chronologie.
Toutefois, une datation, même approximative, reste fortement recommandée dans une logique de sécurité juridique. Elle renforce la lisibilité du grief pour le salarié, anticipe les contestations, et facilite le contrôle juridictionnel.
L’employeur prudent ne confondra pas souplesse jurisprudentielle et laxisme rédactionnel. La lettre de licenciement, au-delà de son formalisme, demeure un acte de procédure stratégique, dont la qualité conditionne en grande partie la robustesse de la défense devant le conseil de prud’hommes.