L’arrêt du 10 septembre 2025 de la Cour de cassation bouleverse la pratique du droit du travail en matière de durée du travail.
Pour la première fois, les jours de congés payés doivent être pris en compte dans le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, même s’ils ne constituent pas du travail effectif au sens du Code du travail.
Voici l’essentiel à retenir :
Le 10 septembre 2025, la Cour de cassation a rendu un arrêt majeur en matière de durée du travail (n° 23-14.455, Sté Altran Technologies c/ V.), qui redéfinit le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
Désormais, les jours de congés payés doivent être pris en compte dans le calcul de la durée hebdomadaire du travail, même s’ils ne constituent pas du travail effectif au sens du Code du travail.
Cette décision, rendue en formation plénière et publiée au Bulletin, traduit l’influence croissante du droit européen sur la jurisprudence nationale. La chambre sociale s’aligne sur une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 13 janvier 2022 (affaire C-514/20), estimant qu’exclure les congés payés du décompte des heures supplémentaires portait atteinte à l’effectivité du droit au repos garanti par la Charte des droits fondamentaux.
Ce revirement de la Cour de cassation modifie en profondeur la compréhension du temps de travail et ses incidences sur la rémunération des salariés.
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Selon l’article L. 3121-28 du Code du travail, toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire (35 heures) constitue une heure supplémentaire.
Seules les heures de travail effectif, définies à l’article L. 3121-1 comme celles pendant lesquelles le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives, sont prises en compte.
Jusqu’à présent, la Cour de cassation excluait les congés payés de ce décompte. Par plusieurs décisions rendues entre 2004 et 2017, elle avait jugé que les périodes de congés, bien que rémunérées, ne pouvaient être assimilées à du travail effectif pour le calcul des heures supplémentaires.
Cette position reposait sur une lecture littérale du Code du travail : pendant ses congés, le salarié n’est pas sous la subordination de l’employeur et ne se tient pas à sa disposition.
Si cette interprétation respectait la lettre du droit interne, elle s’écartait de la philosophie du droit européen.
La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 consacre en effet le droit de tout travailleur à un congé annuel payé, indissociable du droit au repos et à la santé.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considère que toute mesure ayant un effet dissuasif sur la prise de congés porte atteinte à ce droit fondamental.
Ainsi, l’exclusion des jours de congés du calcul des heures supplémentaires créait un désavantage économique : le salarié perdait la possibilité d’obtenir une majoration de salaire, ce qui pouvait l’inciter à renoncer à ses congés.
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Le contentieux opposait plusieurs ingénieurs de la société Altran Technologies à leur employeur.
Ils contestaient le décompte des heures supplémentaires appliqué par l’entreprise, qui excluait les semaines comprenant des jours de congé payé.
Les juges du fond avaient confirmé cette méthode de calcul, considérant que les jours d’absence ne pouvaient être assimilés à du travail effectif.
Les salariés ont porté l’affaire devant la Cour de cassation, invoquant l’incompatibilité de cette règle avec le droit de l’Union européenne.
La Cour se fonde explicitement sur l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux et sur la directive 2003/88/CE.
Elle rappelle que le droit au congé annuel payé vise à permettre au travailleur de bénéficier d’un repos effectif, condition indispensable à la protection de sa santé et de sa sécurité.
La Haute juridiction constate que l’article L. 3121-28 du Code du travail, en subordonnant le calcul des heures supplémentaires à l’exécution d’un travail effectif, est partiellement contraire au droit européen.
Elle décide donc d’écarter cette disposition nationale dans les cas où elle crée un désavantage pour les salariés ayant pris des congés.
Ainsi, pour les salariés dont la durée du travail est décomptée à la semaine, les jours de congé payé doivent être inclus dans le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
Concrètement, une semaine de quatre jours travaillés et d’un jour de congé payé doit être assimilée à une semaine complète pour le calcul du nombre d’heures ouvrant droit à majoration.
Cette interprétation a pour effet d’aligner le droit français sur le droit de l’Union, tout en reconnaissant la valeur constitutionnelle du droit au repos.
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Cette évolution impose aux employeurs de revoir leur méthode de décompte du temps de travail.
Désormais, les jours de congé payé devront être intégrés dans le calcul de la durée hebdomadaire ouvrant droit à majoration.
Cela signifie que, pour un salarié travaillant 35 heures hebdomadaires, les congés pris au cours de la semaine ne réduisent plus le seuil à partir duquel les heures supplémentaires se déclenchent.
Cette règle concerne principalement les entreprises dont le temps de travail est décompté à la semaine, mais elle pourrait, à terme, influencer les régimes forfaitaires et les conventions collectives qui prévoient des durées équivalentes.
Les entreprises devront être particulièrement vigilantes sur le plan de la paie.
Les salariés concernés par ce changement peuvent réclamer des rappels de salaires au titre d’heures supplémentaires non prises en compte, dans la limite du délai de prescription de trois ans.
Cette décision ouvre donc la voie à de nouveaux contentieux, notamment dans les secteurs où les conventions collectives prévoient un décompte hebdomadaire (Syntec, HCR, commerce, etc.).
Par ailleurs, le coût de la masse salariale pourrait augmenter mécaniquement, du fait de la prise en compte des congés dans le calcul des majorations.
Les accords d’entreprise et les conventions collectives devront être réexaminés pour s’assurer de leur conformité.
Certaines dispositions qui subordonnaient la rémunération d’heures supplémentaires à la seule exécution d’un travail effectif seront désormais considérées comme inapplicables.
Les outils informatiques de suivi du temps de travail (logiciels RH, systèmes de pointage) devront également être adaptés pour intégrer les congés payés dans le seuil de déclenchement.
À défaut, les employeurs s’exposent à des erreurs de paie et à des réclamations individuelles.
Avec cet arrêt, la Cour de cassation renforce la cohérence entre le droit français et le droit de l’Union.
Elle réaffirme que le droit au congé payé est un droit fondamental, indissociable du principe de protection de la santé du travailleur.
Au-delà de la question technique du calcul des heures supplémentaires, cette décision traduit un changement de paradigme : le repos n’est plus un élément périphérique du contrat de travail, mais une composante essentielle du droit du travail moderne.
Les employeurs devront adapter leurs pratiques, non seulement pour se conformer à la jurisprudence, mais aussi pour anticiper les futures évolutions issues du dialogue entre les juridictions nationales et européennes.
Ce faisant, la Cour de cassation consacre une vision plus protectrice du salarié et conforte la place du droit européen comme moteur de l’évolution du droit social français.
La Cour de cassation a opéré ce revirement pour se conformer au droit de l’Union européenne.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait déjà jugé, dans une décision du 13 janvier 2022, que le droit au congé annuel payé faisait partie intégrante du droit au repos et à la santé des travailleurs.
Selon la CJUE, un salarié ne doit subir aucun désavantage financier du fait de la prise de ses congés, car cela pourrait le dissuader d’en bénéficier.
Jusqu’alors, le droit français excluait les congés payés du décompte des heures supplémentaires.
En adaptant sa jurisprudence, la Cour de cassation garantit donc la pleine effectivité du droit au repos.
C’est un changement qui s’impose à toutes les entreprises, qu’elles soient publiques ou privées.
Désormais, les jours de congé payé pris au cours d’une semaine de travail sont intégrés dans le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
Cela signifie que si un salarié travaille quatre jours et prend un cinquième jour de congé payé, sa semaine est tout de même considérée comme complète pour le calcul des heures supplémentaires.
Avant cette décision, ces journées de congé réduisaient artificiellement la durée de référence hebdomadaire, ce qui pouvait empêcher le salarié de franchir le seuil ouvrant droit à majoration.
Cette nouvelle règle rétablit une égalité de traitement entre les semaines de travail et les semaines comportant des congés payés.
Pour les salariés, cela peut se traduire par des rappels de salaire, notamment s’ils ont régulièrement effectué des heures supplémentaires sur des semaines partiellement composées de congés.
L’impact est double : juridique et pratique.
Juridiquement, les employeurs doivent désappliquer la partie de l’article L. 3121-28 du Code du travail qui conditionnait le déclenchement des heures supplémentaires à un temps de travail effectif.
En pratique, cela suppose d’intégrer les congés payés dans le calcul hebdomadaire des heures travaillées.
Les services RH et les logiciels de paie doivent être mis à jour pour inclure ces nouvelles règles.
À défaut, des erreurs de paie pourraient entraîner des contentieux prud’homaux pour non-paiement d’heures supplémentaires.
Enfin, les coûts salariaux peuvent légèrement augmenter, car certaines semaines compteront désormais davantage d’heures supplémentaires ouvrant droit à majoration.
Oui, mais dans une certaine limite.
Comme toute évolution jurisprudentielle, cette décision s’applique à tous les litiges non définitivement jugés à la date du 10 septembre 2025.
Un salarié peut donc réclamer le paiement d’heures supplémentaires non comptabilisées sur les trois dernières années, conformément à la prescription triennale applicable aux créances salariales (article L. 3245-1 du Code du travail).
Les entreprises doivent donc s’attendre à d’éventuelles demandes de régularisation portant sur les périodes passées.
Les employeurs les plus exposés sont ceux des secteurs où le décompte du temps de travail est hebdomadaire (bureaux d’études, hôtellerie-restauration, grande distribution, etc.).
Une analyse préventive des pratiques internes et une vérification des paies sur les périodes non prescrites sont fortement recommandées pour éviter un contentieux collectif.
Plusieurs actions s’imposent à court terme :
Au-delà d’une simple adaptation technique, cette décision traduit une exigence de sécurité juridique et de conformité européenne.
Les employeurs doivent désormais considérer le droit au congé annuel comme une composante à part entière du temps de travail pris en compte dans le calcul de la durée hebdomadaire.