Préconisations du médecin du travail : comment exiger leur respect chez les clients pour préserver votre santé ?
Votre santé et votre sécurité au travail ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise
Vérification obligatoire : votre employeur doit s’assurer, avant chaque mission chez un client, que les lieux et équipements respectent scrupuleusement les consignes du médecin du travail.
Pouvoir d’alerte renforcé : dès qu’un site tiers manque de matériel adapté, signalez-le ; la responsabilité d’agir reste entièrement celle de l’employeur.
Droit de retrait sécurisé : en cas de danger grave lié au non-respect des préconisations, vous pouvez interrompre votre tâche sans perte de salaire.
Preuves à conserver : avis médicaux, mails d’alerte et photos des non-conformités constituent votre meilleur bouclier en cas de litige.
Sanctions lourdes pour l’entreprise : résiliation judiciaire, annulation d’un licenciement pour inaptitude et dommages-intérêts pèsent sur l’employeur qui néglige votre sécurité.
Comprendre l’obligation de sécurité qui vous couvre même hors de l’entreprise
Le Code du travail vous accorde une protection que rien ne limite aux murs de votre établissement. En effet, l’article L 4121-1 impose à l’employeur de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ce principe, déjà large, s’est encore renforcé depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2025 : lorsque vous intervenez chez un client, votre employeur doit vérifier que le lieu permet d’appliquer, sans réserve, les préconisations formulées par le médecin du travail.
Genèse d’une décision clé
Les faits : un conducteur routier, autorisé à reprendre son poste à condition d’utiliser un chariot électrique, livre six magasins dépourvus d’un tel équipement ; sa santé se dégrade, il saisit la justice.
La cour d’appel estime que l’employeur n’est pas fautif : il ne pouvait, selon elle, connaître l’absence de matériel dans des sociétés tierces.
La Cour de cassation casse cette décision : nul ne peut transférer l’obligation de sécurité ; l’employeur devait vérifier chaque site avant d’y envoyer le salarié.
Résultat ? Vous disposez désormais d’un droit opposable : si les conditions de travail chez le client ne respectent pas l’avis médical, votre employeur manque à son obligation et engage sa responsabilité.
Ce que dit la loi : un faisceau de textes à connaître en lien avec les droits du salarié
Articles fondamentaux
L 4121-1 et L 4121-2 : hiérarchie des mesures ; supprimer ou réduire le risque, adapter le travail à la personne, planifier la prévention.
L 4624-3 : le médecin propose des aménagements individuels visant votre santé.
L 4624-6 : l’employeur doit prendre ces préconisations en considération et, s’il refuse, motiver son choix par écrit.
L 4131-1 : droit de retrait en cas de danger grave et imminent.
Portée pratique
Ces dispositions forment un socle : tout avis médical est prescriptif. Que le document mentionne « serait souhaitable » ou « doit », l’effet est identique ; la Cour le rappelle dans l’arrêt du 11 juin 2025 et dans une jurisprudence constante depuis 2007.
Votre champ d’action en cinq temps pour le respet des obligations de sécurité pour les salariés chez un client ou en portage
1. Conservez l’intégralité de vos documents médicaux
Demandez systématiquement une copie :
Avis d’aptitude ou d’inaptitude ;
Fiche de préconisations ;
Correspondance éventuelle entre le médecin et l’employeur.
Conserver ces pièces vous permettra, si besoin, de démontrer qu’un équipement (transpalette électrique, fauteuil ergonomique, aide au port de charge…) avait bien été exigé.
2. Analysez votre environnement chez le client
Lorsque vous arrivez sur un site tiers :
Vérifiez la présence effective du matériel prescrit.
Observez les conditions de manutention (type de quai, largeur des allées, éclairage).
Repérez les procédures de sécurité affichées.
Une non-conformité flagrante ? Prenez des photographies datées ; elles serviront de preuve. Mais attention : restez discret et ne photographiez pas d’éléments confidentiels.
3. Informez immédiatement votre hiérarchie
Même si la Cour rappelle que la charge du contrôle appartient à l’employeur, alerter reste stratégique :
Vous démontrez votre bonne foi et votre esprit de prévention.
Vous ouvrez la voie à un ajustement rapide (mise à disposition d’un équipement mobile, réaffectation temporaire, adaptation du planning).
Forme conseillée : mail synthétique, avec objets précis « Non-conformité préconisation médicale – site X ». Joignez vos photos ou un compte rendu de situation.
4. Exercez, si nécessaire, votre droit de retrait
L’article L 4131-1 vous autorise à interrompre votre mission lorsque vous avez un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour votre vie ou votre santé.
Procédure : informer l’employeur ou le chef de chantier, puis se mettre en sécurité sans délai.
Rémunération : maintenue si le risque est avéré. Exemple : absence de chariot électrique quand un port de charge supérieure à 10 kg est interdit.
5. Saisissez les instances compétentes en cas d’inaction
Engagez, en dernier recours, une action prud’homale (résiliation judiciaire ou demande de dommages-intérêts).
Risques encourus par l’employeur en cas de manquement à l'obligation de sécurité du salarié : pourquoi votre vigilance compte
Dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité : souvent équivalents à plusieurs mois de salaire.
Annulation d’un licenciement pour inaptitude : si l’inaptitude résulte d’un défaut de mise en œuvre des préconisations, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Amende pénale : l’article L 4741-1 prévoit 10 000 € par infraction, multipliés par le nombre de salariés exposés.
Atteinte à la réputation de l’entreprise : les décisions prud’homales sont désormais largement relayées.
Bonnes pratiques pour dialoguer et se protéger
Construire une relation tripartite gagnante
Avec le médecin du travail
Demandez, en fin de visite, des éclaircissements : durée d’application des restrictions, exemples d’aménagement concrets.
Vérifiez que l’avis mentionne clairement les équipements requis ; un libellé précis facilite le contrôle chez le client.
Avec l’employeur
Proposez, lors des entretiens d’évolution ou des réunions d’équipe, d’aborder la question des sites externes.
Rappelez que le DUERP doit inclure les risques inhérents aux missions chez les tiers.
Avec le client
Adoptez une attitude professionnelle : expliquez que l’équipement prescrit n’est pas une faveur, mais une exigence légale.
Orientez-les vers votre service HSE pour définir une solution rapide.
Le contentieux social repose sur la démonstration :
Courriels, comptes rendus de réunion, attestations de collègues sont admis.
Les captures d’écran d’échanges internes illustrent la chronologie des alertes.
Un certificat médical de complication de santé lié au manquement vient consolider le dossier.
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Étude de cas : comment un salarié a fait évoluer sa situation
Contexte Technicien de maintenance itinérant, Paul doit respecter une contre-indication au port manuel de charges supérieures à 5 kg. Sur un site client dépourvu de nacelle, il signale la difficulté au chef d’équipe, sans réponse.
Action
Courriel à sa DRH mentionnant l’article L 4624-6.
Droit de retrait deux jours plus tard face au risque lombaire.
Saisine du CSE ; celui-ci déclenche une enquête.
Résultat
L’employeur acquiert une nacelle mobile et renégocie le contrat avec le client.
Paul obtient la prise en charge d’une séance de kinésithérapie.
Le DUERP est mis à jour, bénéficiant à tous les collègues.
Cet exemple illustre qu’en combinant alerte écrite, droit de retrait et dialogue social, le salarié peut obliger l’employeur à sécuriser la mission, sans attendre la dégradation définitive de son état de santé.
Ce qu’il faut retenir
Les préconisations du médecin s’imposent partout : atelier interne, magasin client, chantier distant.
La vérification incombe à l’employeur : aucune délégation tacite, même en sous-traitance.
Votre vigilance est un levier : signaler, prouver, exercer vos droits.
La jurisprudence du 11 juin 2025 renforce le pouvoir d’action des salariés ; elle inverse tout argument selon lequel « vous auriez dû vous adapter ».
Prévention et traçabilité profitent à tous : l’entreprise évite la condamnation, vous préservez votre santé, le client sécurise sa logistique.
Soyez acteur de votre sécurité au travail
La décision de 2025 est claire : la santé du salarié prime sur la commodité des affaires. Si l’employeur, pressé de satisfaire un client, omet de vérifier les équipements prescrits, il viole la loi. Connaître vos textes de référence, exercer vos droits et documenter chaque démarche vous place en position de force. Un engagement individuel éclairé alimente, au final, la culture de prévention collective ; c’est ainsi que se construit une sécurité durable, sur tous les sites où vous exercez votre savoir-faire.