Le statut de salarié protégé occupe une place singulière dans l’architecture du droit du travail. Il ne constitue ni un privilège personnel ni une simple garantie procédurale. Il est l’expression d’un équilibre délicat entre la liberté de gestion de l’employeur et la nécessaire protection de l’exercice des mandats représentatifs.
Les décisions rendues par la Cour de cassation en décembre 2025 viennent rappeler, avec une netteté particulière, que cette protection ne saurait être contournée par le jeu du temps, ni neutralisée par des stratégies différées. Qu’il s’agisse du licenciement, de l’indemnisation consécutive à l’annulation d’une autorisation administrative ou encore du transfert partiel d’entreprise, la Haute juridiction consolide une jurisprudence exigeante, structurante et lourde de conséquences pratiques.
En application des articles [[L. 2411-1]] et suivants du code du travail, le licenciement d’un salarié protégé est soumis à l’autorisation préalable de l’inspection du travail. Cette autorisation ne constitue pas une formalité. Elle implique un contrôle approfondi portant sur la réalité du motif invoqué, l’absence de lien avec le mandat et, plus largement, le respect de l’ordre public social.
Lorsque l’inspection du travail refuse d’autoriser le licenciement, elle ne se borne pas à suspendre la rupture du contrat. Elle invalide le motif présenté par l’employeur.
Cette distinction est fondamentale.
La Cour de cassation juge de manière constante que l’employeur ne peut licencier un ancien salarié protégé, après l’expiration de la période de protection, en se fondant sur un motif qui a déjà été soumis à l’inspection du travail et expressément écarté.
Une telle démarche constitue un détournement de la procédure protectrice [[Cass. soc., 22 mars 2023, n° 21-21.561]].
Les arrêts du 3 décembre 2025 franchissent une étape supplémentaire en affirmant que cette interdiction s’applique également au licenciement pour motif économique [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-17.378 à 24-17.383]].
Le raisonnement de la Cour est limpide. Le refus administratif épuise le motif. Le temps écoulé ne le régénère pas.

Jusqu’à une période récente, certains employeurs considéraient que le licenciement économique, par nature objectif, pouvait être reconsidéré une fois la protection expirée. Cette analyse est désormais clairement invalidée.
La Cour de cassation juge que le motif économique, lorsqu’il a été soumis à l’inspection du travail et refusé, ne peut servir de fondement à un licenciement ultérieur, même après la fin du mandat.
La sanction retenue est particulièrement dissuasive : la nullité du licenciement.
La nullité entraîne des effets puissants :
Cette solution impose aux employeurs une anticipation rigoureuse des situations impliquant un salarié protégé, notamment dans les contextes de restructuration ou de réorganisation économique.
L’article [[L. 2422-4 du code du travail]] organise le régime indemnitaire applicable lorsque l’autorisation de licenciement est annulée de manière définitive par le juge administratif.
Le salarié protégé a droit à la réparation de l’intégralité du préjudice subi entre son licenciement et l’expiration d’un délai de deux mois, dès lors qu’il ne sollicite pas sa réintégration.
Ce dispositif vise à neutraliser les effets d’une décision administrative illégale.
L’arrêt rendu le 3 décembre 2025 apporte une précision essentielle dans l’hypothèse où le salarié protégé fait valoir ses droits à la retraite [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-13.172]].
La Cour juge que le départ à la retraite ne prive pas, par principe, le salarié de son droit à indemnisation. Toutefois, afin d’éviter une surcompensation, l’indemnité doit être réduite du montant des pensions de retraite perçues sur la période concernée, sauf si le salarié a atteint l’âge légal de mise à la retraite d’office.
La solution s’inscrit dans une logique de réparation intégrale, mais strictement proportionnée.
La Cour rappelle que l’indemnité versée en application de l’article L. 2422-4 constitue un complément de salaire. Elle est donc soumise à l’ensemble des cotisations sociales, y compris celles afférentes à la retraite.
Cette qualification a des incidences financières importantes pour les employeurs, souvent sous-estimées lors du contentieux.
En cas de transfert partiel d’entreprise ou d’établissement, la situation du salarié protégé est expressément encadrée par l’article [[L. 2421-9 du code du travail]].
L’inspection du travail doit être saisie afin de vérifier que le transfert envisagé ne constitue pas une mesure discriminatoire ou un moyen indirect d’éviction du salarié en raison de son mandat.
Le refus d’autorisation empêche le transfert automatique du contrat de travail vers l’entreprise entrante.
Lorsque le transfert est refusé, l’employeur d’origine doit proposer au salarié protégé un emploi similaire assorti d’une rémunération équivalente.
La notion d’emploi similaire s’apprécie au regard de plusieurs critères :
Dans l’arrêt rendu le 3 décembre 2025 [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-12.282]], la Cour adopte une approche pragmatique. Elle distingue les éléments essentiels du contrat de travail des simples modalités d’exécution.
La suppression de certains outils de travail, tels qu’un véhicule de service ou un téléphone professionnel, ne suffit pas à exclure la qualification de poste similaire lorsque ces outils ne sont ni contractuellement garantis ni indispensables à l’exercice du mandat.
Cette analyse limite les risques de contentieux artificiels fondés sur des divergences accessoires.
Le juge des référés peut ordonner des mesures conservatoires en présence d’un trouble manifestement illicite, conformément à l’article [[R. 1455-6 du code du travail]].
Toutefois, la Cour de cassation rappelle que l’existence d’une contestation sérieuse, notamment sur l’acceptation d’un poste de reclassement, peut faire obstacle à l’intervention du juge des référés.
Dans l’affaire jugée en décembre 2025, le salarié avait signé un avenant en formulant des réserves portant sur ses conditions de travail. La Cour considère que ces réserves caractérisaient un refus du poste proposé.
Dès lors, l’employeur ne pouvait être tenu pour responsable d’un trouble manifestement illicite.
Cette solution invite les salariés protégés à mesurer avec précision la portée juridique de leurs réserves et observations.
Les décisions rendues en décembre 2025 s’inscrivent dans une dynamique de clarification du régime applicable aux salariés protégés. Elles rappellent que la protection ne se réduit ni à une période ni à un formalisme, mais constitue un ensemble cohérent de garanties substantielles.
Pour les employeurs, ces arrêts imposent une rigueur accrue dans la gestion des mandats représentatifs et dans la conduite des procédures sensibles. Pour les salariés protégés, ils confirment l’existence d’un socle jurisprudentiel solide, garantissant une protection effective, y compris au-delà du mandat.
La Cour de cassation réaffirme ainsi une exigence constante : en matière de protection des représentants du personnel, le droit ne tolère ni l’approximation, ni les stratégies de contournement.
Non. La fin du mandat ne met pas un terme immédiat à l’ensemble des effets attachés au statut de salarié protégé. D’une part, la loi prévoit une période de protection dite « post-mandat ». D’autre part, et surtout, la jurisprudence considère que le refus opposé par l’inspection du travail à un licenciement épuise définitivement le motif invoqué. Ainsi, même après l’expiration de la période de protection, l’employeur ne peut licencier l’ancien salarié protégé en se fondant sur un motif déjà rejeté par l’autorité administrative.
Non, dès lors que le motif économique a été expressément soumis à l’inspection du travail et refusé. Les arrêts rendus par la Cour de cassation le 3 décembre 2025 confirment que le licenciement économique n’échappe pas à cette règle. Le motif refusé ne peut être réutilisé, même après la fin de la protection. Le licenciement prononcé dans ces conditions encourt la nullité, avec toutes les conséquences indemnitaires qui en découlent [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-17.378 à 24-17.383]].
L’annulation définitive de l’autorisation administrative de licenciement remet en cause la légalité de la rupture du contrat de travail. Le salarié protégé peut alors solliciter sa réintégration ou, s’il n’en fait pas la demande, obtenir une indemnité réparant le préjudice subi sur la période prévue par l’article [[L. 2422-4 du code du travail]]. Cette indemnité vise à compenser la perte de rémunération et les conséquences financières de l’éviction illégale.
Oui. La Cour de cassation a jugé que le salarié protégé qui a fait valoir ses droits à la retraite conserve le droit à l’indemnité prévue par l’article L. 2422-4 lorsqu’il ne peut plus demander sa réintégration. Toutefois, afin d’éviter une double indemnisation, le montant de l’indemnité doit être réduit des pensions de retraite perçues sur la même période, sauf si le salarié a atteint l’âge légal de mise à la retraite d’office [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-13.172]].
En cas de transfert partiel d’entreprise, l’employeur doit saisir l’inspection du travail afin d’obtenir l’autorisation de transférer le contrat de travail du salarié protégé [[L. 2421-9 du code du travail]]. Si l’autorisation est refusée, l’employeur d’origine doit proposer au salarié un emploi similaire assorti d’une rémunération équivalente. La jurisprudence admet que certains outils de travail puissent différer, dès lors que les éléments essentiels du contrat et les fonctions sont maintenus [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-12.282]].