Licencier un salarié protégé après un refus administratif est-il encore possible ?

Ce qu’il faut retenir sur le salarié protégé et l’autorisation de l’inspection du travail

  • Le refus de l’inspection du travail d’autoriser un licenciement neutralise durablement le motif invoqué, même après la fin du mandat de salarié protégé.
  • Un licenciement prononcé après l’expiration de la protection sur un motif déjà refusé, y compris économique, est entaché de nullité [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-17.378 à 24-17.383]].
  • En cas d’annulation définitive de l’autorisation administrative de licenciement, le salarié protégé peut obtenir une indemnité réparant l’intégralité du préjudice sur la période légale, selon [[L. 2422-4 du code du travail]].
  • Le départ à la retraite du salarié protégé n’exclut pas l’indemnisation, mais celle-ci peut être réduite des pensions perçues sur la période concernée [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-13.172]].
  • En cas de transfert partiel d’entreprise, l’inspection du travail doit être saisie ; à défaut de transfert autorisé, l’employeur est tenu de proposer un emploi similaire à rémunération équivalente [[L. 2421-9 du code du travail]].

Le statut de salarié protégé occupe une place singulière dans l’architecture du droit du travail. Il ne constitue ni un privilège personnel ni une simple garantie procédurale. Il est l’expression d’un équilibre délicat entre la liberté de gestion de l’employeur et la nécessaire protection de l’exercice des mandats représentatifs.

Les décisions rendues par la Cour de cassation en décembre 2025 viennent rappeler, avec une netteté particulière, que cette protection ne saurait être contournée par le jeu du temps, ni neutralisée par des stratégies différées. Qu’il s’agisse du licenciement, de l’indemnisation consécutive à l’annulation d’une autorisation administrative ou encore du transfert partiel d’entreprise, la Haute juridiction consolide une jurisprudence exigeante, structurante et lourde de conséquences pratiques.

La portée juridique du refus d’autorisation de licenciement

Le rôle central de l’inspection du travail

En application des articles [[L. 2411-1]] et suivants du code du travail, le licenciement d’un salarié protégé est soumis à l’autorisation préalable de l’inspection du travail. Cette autorisation ne constitue pas une formalité. Elle implique un contrôle approfondi portant sur la réalité du motif invoqué, l’absence de lien avec le mandat et, plus largement, le respect de l’ordre public social.

Lorsque l’inspection du travail refuse d’autoriser le licenciement, elle ne se borne pas à suspendre la rupture du contrat. Elle invalide le motif présenté par l’employeur.

Cette distinction est fondamentale.

L’impossibilité de licencier après la fin de la protection sur un motif refusé

La Cour de cassation juge de manière constante que l’employeur ne peut licencier un ancien salarié protégé, après l’expiration de la période de protection, en se fondant sur un motif qui a déjà été soumis à l’inspection du travail et expressément écarté.

Une telle démarche constitue un détournement de la procédure protectrice [[Cass. soc., 22 mars 2023, n° 21-21.561]].

Les arrêts du 3 décembre 2025 franchissent une étape supplémentaire en affirmant que cette interdiction s’applique également au licenciement pour motif économique [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-17.378 à 24-17.383]].

Le raisonnement de la Cour est limpide. Le refus administratif épuise le motif. Le temps écoulé ne le régénère pas.

Le licenciement économique du salarié protégé sous contrôle renforcé

Une extension jurisprudentielle lourde de sens

Jusqu’à une période récente, certains employeurs considéraient que le licenciement économique, par nature objectif, pouvait être reconsidéré une fois la protection expirée. Cette analyse est désormais clairement invalidée.

La Cour de cassation juge que le motif économique, lorsqu’il a été soumis à l’inspection du travail et refusé, ne peut servir de fondement à un licenciement ultérieur, même après la fin du mandat.

La sanction retenue est particulièrement dissuasive : la nullité du licenciement.

Les conséquences pratiques de la nullité

La nullité entraîne des effets puissants :

  • droit à réintégration du salarié,
  • rappel de salaires sur la période d’éviction,
  • à défaut de réintégration du salarié protégé, indemnisation spécifique distincte des indemnités de rupture classiques.

Cette solution impose aux employeurs une anticipation rigoureuse des situations impliquant un salarié protégé, notamment dans les contextes de restructuration ou de réorganisation économique.

L’annulation de l’autorisation administrative et la réparation du préjudice

Le cadre posé par le code du travail

L’article [[L. 2422-4 du code du travail]] organise le régime indemnitaire applicable lorsque l’autorisation de licenciement est annulée de manière définitive par le juge administratif.

Le salarié protégé a droit à la réparation de l’intégralité du préjudice subi entre son licenciement et l’expiration d’un délai de deux mois, dès lors qu’il ne sollicite pas sa réintégration.

Ce dispositif vise à neutraliser les effets d’une décision administrative illégale.

La situation particulière du salarié parti à la retraite

L’arrêt rendu le 3 décembre 2025 apporte une précision essentielle dans l’hypothèse où le salarié protégé fait valoir ses droits à la retraite [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-13.172]].

La Cour juge que le départ à la retraite ne prive pas, par principe, le salarié de son droit à indemnisation. Toutefois, afin d’éviter une surcompensation, l’indemnité doit être réduite du montant des pensions de retraite perçues sur la période concernée, sauf si le salarié a atteint l’âge légal de mise à la retraite d’office.

La solution s’inscrit dans une logique de réparation intégrale, mais strictement proportionnée.

La qualification salariale de l’indemnité

La Cour rappelle que l’indemnité versée en application de l’article L. 2422-4 constitue un complément de salaire. Elle est donc soumise à l’ensemble des cotisations sociales, y compris celles afférentes à la retraite.

Cette qualification a des incidences financières importantes pour les employeurs, souvent sous-estimées lors du contentieux.

Le salarié protégé face au transfert partiel d’entreprise

L’exigence d’une autorisation administrative préalable

En cas de transfert partiel d’entreprise ou d’établissement, la situation du salarié protégé est expressément encadrée par l’article [[L. 2421-9 du code du travail]].

L’inspection du travail doit être saisie afin de vérifier que le transfert envisagé ne constitue pas une mesure discriminatoire ou un moyen indirect d’éviction du salarié en raison de son mandat.

Le refus d’autorisation empêche le transfert automatique du contrat de travail vers l’entreprise entrante.

L’obligation de reclassement interne

Lorsque le transfert est refusé, l’employeur d’origine doit proposer au salarié protégé un emploi similaire assorti d’une rémunération équivalente.

La notion d’emploi similaire s’apprécie au regard de plusieurs critères :

  • la nature des fonctions,
  • la classification,
  • le niveau de rémunération,
  • les conditions essentielles d’exécution du travail.

L’appréciation des outils de travail par la Cour de cassation

Dans l’arrêt rendu le 3 décembre 2025 [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-12.282]], la Cour adopte une approche pragmatique. Elle distingue les éléments essentiels du contrat de travail des simples modalités d’exécution.

La suppression de certains outils de travail, tels qu’un véhicule de service ou un téléphone professionnel, ne suffit pas à exclure la qualification de poste similaire lorsque ces outils ne sont ni contractuellement garantis ni indispensables à l’exercice du mandat.

Cette analyse limite les risques de contentieux artificiels fondés sur des divergences accessoires.

Le contrôle du juge des référés et la notion de trouble manifestement illicite

Un contrôle strictement encadré

Le juge des référés peut ordonner des mesures conservatoires en présence d’un trouble manifestement illicite, conformément à l’article [[R. 1455-6 du code du travail]].

Toutefois, la Cour de cassation rappelle que l’existence d’une contestation sérieuse, notamment sur l’acceptation d’un poste de reclassement, peut faire obstacle à l’intervention du juge des référés.

Le refus assorti de réserves substantielles

Dans l’affaire jugée en décembre 2025, le salarié avait signé un avenant en formulant des réserves portant sur ses conditions de travail. La Cour considère que ces réserves caractérisaient un refus du poste proposé.

Dès lors, l’employeur ne pouvait être tenu pour responsable d’un trouble manifestement illicite.

Cette solution invite les salariés protégés à mesurer avec précision la portée juridique de leurs réserves et observations.

Une jurisprudence de clarification et de responsabilisation

Les décisions rendues en décembre 2025 s’inscrivent dans une dynamique de clarification du régime applicable aux salariés protégés. Elles rappellent que la protection ne se réduit ni à une période ni à un formalisme, mais constitue un ensemble cohérent de garanties substantielles.

Pour les employeurs, ces arrêts imposent une rigueur accrue dans la gestion des mandats représentatifs et dans la conduite des procédures sensibles. Pour les salariés protégés, ils confirment l’existence d’un socle jurisprudentiel solide, garantissant une protection effective, y compris au-delà du mandat.

La Cour de cassation réaffirme ainsi une exigence constante : en matière de protection des représentants du personnel, le droit ne tolère ni l’approximation, ni les stratégies de contournement.

Question les plus fréquentes sur le sujet du salarié protégé

La fin du mandat met-elle fin à toute protection du salarié protégé ?

Non. La fin du mandat ne met pas un terme immédiat à l’ensemble des effets attachés au statut de salarié protégé. D’une part, la loi prévoit une période de protection dite « post-mandat ». D’autre part, et surtout, la jurisprudence considère que le refus opposé par l’inspection du travail à un licenciement épuise définitivement le motif invoqué. Ainsi, même après l’expiration de la période de protection, l’employeur ne peut licencier l’ancien salarié protégé en se fondant sur un motif déjà rejeté par l’autorité administrative.

Un licenciement économique peut-il être envisagé après un refus administratif ?

Non, dès lors que le motif économique a été expressément soumis à l’inspection du travail et refusé. Les arrêts rendus par la Cour de cassation le 3 décembre 2025 confirment que le licenciement économique n’échappe pas à cette règle. Le motif refusé ne peut être réutilisé, même après la fin de la protection. Le licenciement prononcé dans ces conditions encourt la nullité, avec toutes les conséquences indemnitaires qui en découlent [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-17.378 à 24-17.383]].

Quelle est la portée de l’annulation de l’autorisation de licenciement ?

L’annulation définitive de l’autorisation administrative de licenciement remet en cause la légalité de la rupture du contrat de travail. Le salarié protégé peut alors solliciter sa réintégration ou, s’il n’en fait pas la demande, obtenir une indemnité réparant le préjudice subi sur la période prévue par l’article [[L. 2422-4 du code du travail]]. Cette indemnité vise à compenser la perte de rémunération et les conséquences financières de l’éviction illégale.

Le salarié protégé parti à la retraite peut-il encore être indemnisé ?

Oui. La Cour de cassation a jugé que le salarié protégé qui a fait valoir ses droits à la retraite conserve le droit à l’indemnité prévue par l’article L. 2422-4 lorsqu’il ne peut plus demander sa réintégration. Toutefois, afin d’éviter une double indemnisation, le montant de l’indemnité doit être réduit des pensions de retraite perçues sur la même période, sauf si le salarié a atteint l’âge légal de mise à la retraite d’office [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-13.172]].

Quelles sont les obligations de l’employeur en cas de transfert partiel d’un salarié protégé ?

En cas de transfert partiel d’entreprise, l’employeur doit saisir l’inspection du travail afin d’obtenir l’autorisation de transférer le contrat de travail du salarié protégé [[L. 2421-9 du code du travail]]. Si l’autorisation est refusée, l’employeur d’origine doit proposer au salarié un emploi similaire assorti d’une rémunération équivalente. La jurisprudence admet que certains outils de travail puissent différer, dès lors que les éléments essentiels du contrat et les fonctions sont maintenus [[Cass. soc., 3 déc. 2025, n° 24-12.282]].