En cas d’altercation verbale ou physique entre collègues, l’employeur ne peut adopter une posture passive. Il est juridiquement tenu à une obligation de prévention. À défaut, sa responsabilité peut être engagée, même sans alerte préalable du salarié concerné. Voici l’essentiel à retenir :
Lorsqu’un conflit entre salariés dégénère en altercation physique ou verbale, la responsabilité de l’employeur peut être engagée, non pas du fait de l’agissement fautif lui-même, mais en raison d’un manquement à son obligation de sécurité. Un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. soc. 26 mars 2025, n° 23-13.081) vient réaffirmer cette exigence, en soulignant que l’employeur doit justifier, en amont, de toutes les mesures de prévention imposées par les textes.
L’article L. 4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette obligation, de nature préventive, a une portée particulièrement large.
Elle est précisée à l’article L. 4121-2, qui exige notamment :
Cette obligation ne suppose pas nécessairement qu’un dommage se soit déjà produit. Il suffit que l’environnement de travail ait exposé un salarié à un risque identifié, tel que la violence interne, pour que l’employeur doive démontrer qu’il a agi en conséquence.
A lire : quels sont les risques d'une relation amoureuse au travail ?
Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 26 mars 2025, un salarié – chef d’équipe dans une régie publique de traitement des déchets – avait été victime de deux agressions de la part de subordonnés, survenues à six mois d’intervalle.
Licencié pour faute grave par son employeur, il saisit le conseil de prud’hommes en contestant la rupture, alléguant notamment un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, en raison de l’absence de mesures prises pour prévenir ou faire cesser les violences dont il avait été victime.
La cour d’appel l’avait débouté, estimant que le salarié ne démontrait ni avoir alerté sa hiérarchie avant le second incident, ni avoir précisé les mesures concrètes qui auraient dû être mises en œuvre.
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt : elle reproche aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si, indépendamment d’un signalement, l’employeur avait satisfait aux obligations légales de prévention des risques.
Cette décision illustre un principe fondamental : l’employeur est tenu d’agir en amont, même en l’absence d’un signalement explicite de la part du salarié.
L’arrêt rappelle qu’il ne suffit pas pour l’employeur de réagir a posteriori à des faits violents. Il lui appartient de mettre en place, de manière continue, un dispositif propre à prévenir la survenance de tels incidents :
L’absence d’une telle démarche proactive peut constituer, à elle seule, une faute de l’employeur ouvrant droit à indemnisation, même si ce dernier ignorait les faits au moment de leur survenance.
Ce nouvel arrêt s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence constante. Depuis l’arrêt Air France du 25 novembre 2015 (n° 14-24.444), la Cour de cassation a opéré un infléchissement notable : l’employeur n’est plus tenu à une obligation de sécurité de résultat, mais il doit prouver qu’il a mis en œuvre toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2.
En cas de contentieux, il incombe donc à l’employeur de démontrer :
La charge de la preuve ne repose plus sur le salarié victime de l’altercation.
Cet arrêt est un signal d’alerte clair pour les employeurs, notamment dans les secteurs où les tensions interpersonnelles sont fréquentes (environnement de production, logistique, services publics…).
Voici les enseignements à en tirer :
La Cour de cassation réaffirme ici une exigence centrale du droit du travail contemporain : la protection du salarié ne dépend pas de sa capacité à se plaindre ou à se défendre. Elle découle d’une responsabilité active de l’employeur, qui ne peut être neutre face aux violences internes.
La jurisprudence du 26 mars 2025 s’inscrit dans une logique de prévention systémique des risques sociaux dans l’entreprise. Elle rappelle aux employeurs qu’en matière de violences, l’inaction – ou même la passivité – peut coûter cher.