Responsabilité de l’employeur en cas de violences entre salariés : une obligation de prévention renforcée

Quelle responsabilité engage l’employeur en cas de conflit entre salariés ?

En cas d’altercation verbale ou physique entre collègues, l’employeur ne peut adopter une posture passive. Il est juridiquement tenu à une obligation de prévention. À défaut, sa responsabilité peut être engagée, même sans alerte préalable du salarié concerné. Voici l’essentiel à retenir :

  • L’employeur est responsable si les violences n’ont pas été anticipées par des mesures de prévention suffisantes, même sans faute personnelle.
  • Une obligation légale de sécurité s’impose (articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail), incluant la prévention des conflits interpersonnels.
  • La Cour de cassation exige des preuves concrètes de mise en œuvre effective des actions de prévention. Le silence ou la passivité ne protège pas l’employeur.
  • En l’absence de dispositif adéquat, des dommages-intérêts peuvent être accordés au salarié victime d’une agression, au titre du manquement à l’obligation de sécurité.

Quelles Responsabilités de l’employeur en cas de violences entre salariés

Lorsqu’un conflit entre salariés dégénère en altercation physique ou verbale, la responsabilité de l’employeur peut être engagée, non pas du fait de l’agissement fautif lui-même, mais en raison d’un manquement à son obligation de sécurité. Un arrêt récent de la Cour de cassation (Cass. soc. 26 mars 2025, n° 23-13.081) vient réaffirmer cette exigence, en soulignant que l’employeur doit justifier, en amont, de toutes les mesures de prévention imposées par les textes.

Une obligation de sécurité à la charge exclusive de l’employeur

L’article L. 4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette obligation, de nature préventive, a une portée particulièrement large.

Elle est précisée à l’article L. 4121-2, qui exige notamment :

  • des actions de prévention des risques professionnels,
  • des actions d'information et de formation,
  • la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Cette obligation ne suppose pas nécessairement qu’un dommage se soit déjà produit. Il suffit que l’environnement de travail ait exposé un salarié à un risque identifié, tel que la violence interne, pour que l’employeur doive démontrer qu’il a agi en conséquence.

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Le contexte de l’affaire : des agressions physiques entre collègues

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 26 mars 2025, un salarié – chef d’équipe dans une régie publique de traitement des déchets – avait été victime de deux agressions de la part de subordonnés, survenues à six mois d’intervalle.

Licencié pour faute grave par son employeur, il saisit le conseil de prud’hommes en contestant la rupture, alléguant notamment un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, en raison de l’absence de mesures prises pour prévenir ou faire cesser les violences dont il avait été victime.

La cour d’appel l’avait débouté, estimant que le salarié ne démontrait ni avoir alerté sa hiérarchie avant le second incident, ni avoir précisé les mesures concrètes qui auraient dû être mises en œuvre.

La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt : elle reproche aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si, indépendamment d’un signalement, l’employeur avait satisfait aux obligations légales de prévention des risques.

Prévention des violences internes : un devoir de vigilance proactif

Cette décision illustre un principe fondamental : l’employeur est tenu d’agir en amont, même en l’absence d’un signalement explicite de la part du salarié.

L’arrêt rappelle qu’il ne suffit pas pour l’employeur de réagir a posteriori à des faits violents. Il lui appartient de mettre en place, de manière continue, un dispositif propre à prévenir la survenance de tels incidents :

  • Identifier les situations à risque dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP)
  • Former les équipes d’encadrement à la gestion de conflit et à la communication non violente
  • Sensibiliser les salariés à la tolérance zéro face à toute forme de violence
  • Mettre en place une procédure d’alerte claire et accessible
  • Intervenir immédiatement en cas d’incident (entretien, enquête interne, mesures conservatoires…)

L’absence d’une telle démarche proactive peut constituer, à elle seule, une faute de l’employeur ouvrant droit à indemnisation, même si ce dernier ignorait les faits au moment de leur survenance.

Responsabilité de l’employeur en cas de violences entre salariés

La position constante de la Cour de cassation

Ce nouvel arrêt s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence constante. Depuis l’arrêt Air France du 25 novembre 2015 (n° 14-24.444), la Cour de cassation a opéré un infléchissement notable : l’employeur n’est plus tenu à une obligation de sécurité de résultat, mais il doit prouver qu’il a mis en œuvre toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2.

En cas de contentieux, il incombe donc à l’employeur de démontrer :

  • l’existence de dispositifs de prévention adaptés,
  • leur effectivité,
  • leur adaptation au contexte de travail spécifique (structure hiérarchique, niveau de tension interne, historique de conflits…).

La charge de la preuve ne repose plus sur le salarié victime de l’altercation.

Que retenir pour les entreprises ?

Cet arrêt est un signal d’alerte clair pour les employeurs, notamment dans les secteurs où les tensions interpersonnelles sont fréquentes (environnement de production, logistique, services publics…).

Voici les enseignements à en tirer :

  • Formaliser une politique de prévention des conflits : la prévention des violences ne doit pas être implicite ou occasionnelle. Elle doit être organisée, documentée, traçable.
  • Documenter chaque intervention : entretien, médiation, changement d’équipe, remontée au CSE... tout doit pouvoir être retracé en cas de contentieux.
  • Intégrer la question des altercations dans le DUERP : chaque situation de conflit avéré doit être analysée au titre des risques psychosociaux.
  • Former le management intermédiaire : les managers doivent être outillés pour détecter et traiter les premiers signes d’hostilité entre salariés.

Un devoir d’anticipation, pas une obligation de réaction

La Cour de cassation réaffirme ici une exigence centrale du droit du travail contemporain : la protection du salarié ne dépend pas de sa capacité à se plaindre ou à se défendre. Elle découle d’une responsabilité active de l’employeur, qui ne peut être neutre face aux violences internes.

La jurisprudence du 26 mars 2025 s’inscrit dans une logique de prévention systémique des risques sociaux dans l’entreprise. Elle rappelle aux employeurs qu’en matière de violences, l’inaction – ou même la passivité – peut coûter cher.