
La question du lieu d’exécution du travail demeure l’un des sujets les plus fréquemment rencontrés en pratique dans la relation de travail. Elle soulève une difficulté récurrente: la simple mention d’un lieu dans le contrat impose-t-elle l’accord du salarié pour toute modification ultérieure? La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 octobre 2025, rappelle avec force une jurisprudence constante mais parfois oubliée.
Dans cette décision, la chambre sociale précise que le lieu de travail n’est contractuel que s’il existe une clause claire et précise prévoyant que le salarié exécutera exclusivement ses fonctions dans cet emplacement. À défaut, la mutation dans le même secteur géographique relève du pouvoir de direction de l’employeur, sans nécessité de recueillir l’accord du salarié.
Cet article propose une analyse complète de cette jurisprudence, de ses implications pratiques, et des précautions à adopter lors de la rédaction ou de la modification d’un contrat de travail.
Le droit du travail distingue deux notions essentielles: la modification du contrat de travail, qui nécessite l’accord du salarié, et la simple modification des conditions de travail, que l’employeur peut décider unilatéralement dans le cadre de son pouvoir de direction.
L’article L. 1221-1 du code du travail rappelle que les relations de travail sont gouvernées par les principes généraux du droit des contrats. Pour autant, la Cour de cassation a toujours refusé d’ériger la mention du lieu de travail en élément contractuel sauf clause contraire.
La Haute juridiction juge depuis longtemps que:
Cette ligne jurisprudentielle, posée notamment par les arrêts du 3 juin 2003 et du 15 mars 2006, est réaffirmée dans la décision du 22 octobre 2025.
Dans l’affaire soumise à la Cour, un agent de service affecté à un site de nettoyage industriel refusait de signer des avenants le transférant sur d’autres sites situés dans la même zone géographique. L’employeur avait cessé le paiement du salaire, estimant que la salariée refusait une simple modification de ses conditions de travail.
La cour d’appel avait suivi l’argumentaire de la salariée en jugeant que l’avenant mentionnant son lieu de travail rendait celui-ci contractuel. La Cour de cassation casse cette décision: l’avenant mentionnait bien un lieu d’exécution, mais ne précisait pas qu’il s’agissait du lieu exclusif où le travail devait être réalisé.
Ainsi, en l’absence de formule dépourvue d’ambiguïté, le lieu ne peut devenir un élément du contrat. L’employeur était donc fondé à réaffecter la salariée sur d’autres sites situés dans le même périmètre géographique.
Pour qu’un lieu soit opposable à l’employeur, la clause doit présenter une double exigence de forme.
La clause doit prévoir expressément que:
Exemples de formulations admises:
À l’inverse, les mentions vagues du type “lieu de travail: Paris” n’ont jamais été suffisantes.
Le texte doit traduire la volonté commune des parties. Or, en l’absence d’une telle précision, les juges considèrent qu’il s’agit d’une simple localisation administrative ou d’un point de rattachement.
Même sans clause particulière, une mutation reste encadrée juridiquement. L’employeur ne peut pas imposer un changement impliquant un changement de secteur géographique, sauf clause de mobilité valable.
Le secteur géographique est défini par:
La Cour examine au cas par cas si la nouvelle affectation impose une contrainte excessive. Un déplacement modéré au sein d’une même zone urbaine est en général admis. En revanche, l’affectation dans une autre région, même proche, constitue une modification du contrat nécessitant l’accord du salarié.

Une erreur dans la qualification de la modification peut exposer l’employeur à plusieurs sanctions.
Si l’employeur cesse de rémunérer un salarié qui refuse une modification contractuelle, le salarié peut obtenir un rappel intégral des salaires non versés.
Le salarié peut demander la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur pour non respect des obligations contractuelles.
L’atteinte injustifiée au contrat ou l’imposition d’une mutation illicite peut entraîner une condamnation pour exécution déloyale du contrat de travail.
Pour limiter les contentieux, une rédaction précise du contrat s’impose. Trois approches peuvent être envisagées selon les besoins de l’entreprise.
Solution adaptée lorsque la flexibilité est souhaitée. Le salarié sait où il est affecté, mais cela n’empêche pas l’employeur de le déplacer dans le même secteur géographique.
Elle permet d’étendre contractuellement le pouvoir de direction à une zone définie. Elle doit indiquer précisément la zone géographique et respecter les principes de proportionnalité et de bonne foi.
Elle fige définitivement l’affectation. Elle est utilisée lorsqu’un poste ne peut, par nature, être déplacé.
La Cour confirme que le pouvoir de direction demeure la règle. Pour qu’un salarié puisse s’opposer à une mutation, encore faut-il que son contrat contienne une clause dépourvue d’ambiguïté.
Ce rappel invite les employeurs à vérifier la rédaction de leurs contrats et avenants, et les salariés à s’assurer que leurs attentes quant au lieu de travail sont correctement formalisées.
L’arrêt du 22 octobre 2025 consolide une jurisprudence ancienne mais fondamentale: la mention d’un lieu de travail n’est qu’un élément d’information, sauf clause de localisation exclusive. Le changement de lieu dans le même secteur géographique reste une modification des conditions de travail, que le salarié doit accepter.
Dans un contexte où les organisations évoluent rapidement et où les mobilités internes se multiplient, sécuriser la rédaction contractuelle apparaît indispensable. Le contentieux du lieu de travail demeure fréquent et peut être évité par une clause adaptée aux besoins de l’entreprise comme aux attentes du salarié.