Cour de cassation, chambre sociale, 4 juin 2025, n° 24‑14.509 : la Haute juridiction annule le licenciement d’une responsable RH après avoir constaté qu’il reposait, non sur les griefs disciplines énoncés, mais sur la découverte de sa liaison avec le président de la société. Ce seul fait, relevant de l’intimité, ne pouvait justifier une rupture sans violer la liberté fondamentale protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 9 du Code civil et l’article L 1121‑1 du Code du travail.
Un fait strictement privé échappe, par définition, au champ du pouvoir disciplinaire, sauf s’il se rattache à une obligation contractuelle (Cass. soc. 3 mai 2011, n° 09‑67.464). L’entreprise ne peut donc invoquer la moralité ou l’opinion du salarié pour prononcer une sanction. Ici, la cour d’appel de Versailles avait reconnu l’atteinte à la vie privée, mais s’était limitée à conclure à l’absence de cause réelle et sérieuse ; la Cour de cassation rappelle que l’atteinte à une liberté fondamentale entraîne la nullité pure et simple du licenciement (art. L 1235‑3‑1).
L’intimité englobe la sphère affective, sexuelle et familiale. La révélation forcée d’une liaison, la fouille d’effets personnels ou la consultation d’échanges privés constituent autant d’ingérences proscrites. Le salarié doit établir le lien direct entre la mesure disciplinaire et l’élément de vie privée ; dans l’arrêt du 4 juin 2025, l’ultimatum de l’épouse du dirigeant – directrice générale – la veille de la convocation suffisait à démontrer la motivation réelle.
La combinaison de ces éléments permet de renverser la présomption de légitimité dont dispose toujours l’employeur.
L’employeur ne peut diligenter d’enquête sur la vie sentimentale d’un salarié ; toute information obtenue clandestinement (interception de mails, surveillance non déclarée) serait jugée irrecevable. La prévention des conflits d’intérêts doit passer par des chartes internes, non par l’intrusion.
En cas de faute grave, la lettre de licenciement fixe les limites du litige (art. L 1232‑6). Inventorier des manquements fictifs expose à la nullité ; les juges vérifient la matérialité et la gravité de chaque reproche. Le dossier disciplinaire doit être étayé ; à défaut, les griefs seront écartés.
Lorsque la hiérarchie directe est impliquée personnellement, le Code du travail exige un processus décisionnel impartial : entretien préalable conduit par une personne neutre, prise de décision par un organe distinct. Dans l’arrêt du 4 juin 2025, la directrice générale, épouse du président, avait un intérêt personnel manifeste ; l’objectivité manquait.
Le salarié obtient au minimum six mois de salaire brut, sans plafonnement, conformément à l’article L 1235‑3‑1 ; s’ajoutent les indemnités de rupture et le solde de tout compte. La Cour de cassation a octroyé 20 000 € de dommages‑intérêts, outre les dépens et 3 000 € sur le fondement de l’article 700 CPC.
La nullité ouvre un droit à réintégration, y compris lorsque la relation interpersonnelle rend la reprise délicate. Le salarié peut préférer l’indemnisation ; c’est généralement le choix privilégié pour clore un climat conflictuel.
Cet arrêt rappelle qu’une entreprise ne saurait se faire juge de la moralité de ses collaborateurs. La réponse disciplinaire doit s’enraciner dans des obligations contractuelles objectivement méconnues ; à défaut, la sanction est vouée à la censure.
L’arrêt du 4 juin 2025 cristallise la ligne jurisprudentielle : licencier un salarié pour sa vie intime, fût‑ce sous des prétextes administratifs, conduit à la nullité. Pour le salarié, c’est une arme protectrice ; pour l’employeur, une alerte à manier la discipline avec rigueur. La relation d’autorité s’exerce de porte du bureau à porte du bureau ; au‑delà commence la sphère personnelle, sanctuarisée par le droit.