L'absence de diplôme dans une profession réglementée ne suffit pas à justifier un licenciement pour faute grave

Ce qu’il faut retenir sur le licenciement en cas d’absence de diplôme

  • ⚖️ Un employeur ne peut invoquer une faute grave pour absence de diplôme s’il n’a jamais vérifié la qualification du salarié.
  • 📜 L’inaction prolongée de l’employeur constitue une négligence qui lui interdit de se prévaloir de la réglementation ignorée.
  • 🤝 L’obligation de loyauté du salarié ne peut être invoquée sans demande claire de justification de diplôme préalable.
  • 🧾 Dans une profession réglementée, la vérification du diplôme est une obligation de l’employeur au moment de l’embauche ou du transfert.

Le contexte du litige : une salariée exerçant sans diplôme depuis 1998

Une profession réglementée par le code de la santé publique

L'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 26 mars 2025 (n° 23-21.414) apporte un éclairage important sur les limites du pouvoir disciplinaire de l’employeur dans les professions soumises à réglementation. L’affaire opposait Mme M., engagée depuis 1998 en qualité de préparatrice en pharmacie, à son employeur, la société de pharmaciens d’officine Garrigues-Patry et Ligeard.

À la suite du rachat de l’officine en 2015, le contrat de travail est repris par la nouvelle structure. Trois ans plus tard, un contrôle de l’Agence régionale de santé (ARS) révèle que la salariée n’est pas titulaire du diplôme de préparateur en pharmacie. Après deux mises en demeure restées sans réponse, l’employeur engage une procédure de licenciement pour faute grave. Ce dernier estime que la salariée a manqué à son obligation de loyauté, tout en mettant en avant le risque pénal auquel il s’exposait.

licenciement en cas absence de diplome

Une dissimulation reprochée et une réaction tardive de l’employeur

Les juges du fond donnent raison à l’employeur, considérant que le défaut de diplôme, associé au silence de la salariée face aux demandes de justification, constitue une faute grave justifiant une rupture immédiate du contrat. Ils retiennent également que la salariée n’a jamais informé ses employeurs successifs de sa situation irrégulière.

Les apports de la Cour de cassation : absence de vérification initiale = négligence de l’employeur

La faute grave suppose une impossibilité de maintien dans l’entreprise

Au visa de l’article L. 1235-1 du code du travail, la Cour de cassation rappelle qu’une faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, y compris durant le préavis. Elle ne peut être invoquée que si le comportement du salarié présente une gravité suffisante et immédiate.

En l’espèce, la haute juridiction relève que la salariée avait exercé ses fonctions pendant près de 20 ans sans diplôme, ce que l’employeur – tant initial que repreneur – n’avait jamais vérifié. Or, il appartient à l’employeur, dans le cadre de son obligation de vigilance, de s'assurer, au moment de l’embauche, de la validité des qualifications requises, en particulier lorsque le poste relève d'une profession réglementée comme celle de préparateur en pharmacie.

Une jurisprudence constante en matière de contrôle des diplômes

Cette position s’inscrit dans le prolongement de précédents arrêts. Déjà, la chambre sociale avait jugé que l’employeur ne pouvait se prévaloir de sa propre carence pour invoquer une faute grave (Cass. soc. 18 mai 2011, n° 09-68.704 ; Cass. soc. 9 juin 2017, n° 16-15.244). Dans la continuité, la Cour précise que la société ne saurait tirer argument de sa propre négligence pour reprocher un manquement au salarié.

L’article L. 4241-4 du code de la santé publique prévoit que seul un titulaire du diplôme de préparateur peut exercer cette profession et en porter le titre. Toutefois, l’illégalité de la situation ne suffit pas à elle seule à caractériser une faute grave, dès lors que l’employeur ne s’était jamais enquis de la qualification du salarié avant d’engager la procédure.

L’obligation de loyauté et ses limites dans le contexte de la qualification professionnelle

L’absence d’information ne suffit pas en l’absence de demande expresse

L’employeur soutenait que la salariée avait manqué à son obligation de loyauté, prévue implicitement dans tout contrat de travail. Pourtant, la Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle estime que le silence de la salariée ne peut être assimilé à une dissimulation active, dès lors que l’employeur ne lui avait jamais demandé de justifier de ses titres, ni au moment de l’embauche, ni lors du transfert du contrat.

De plus, l’ancienneté du contrat (près de 20 ans) et l’absence de contestation ou d’interrogation durant cette période démontrent que l’employeur a toléré, sinon validé, la situation contractuelle.

Le juge protège la stabilité contractuelle et la bonne foi

La Cour privilégie une lecture conforme au principe de sécurité juridique. Il serait, en effet, excessif de permettre à un employeur de licencier pour faute grave un salarié au seul motif qu’il ne dispose pas du diplôme requis, alors même qu’il n’a jamais exigé de preuve au préalable. Ce raisonnement protège également la bonne foi du salarié et s’inscrit dans une logique d’équilibre des obligations réciproques dans le contrat de travail.

Bonnes pratiques pour les employeurs en matière de professions réglementées

Vérifier les diplômes dès l’embauche

L’arrêt du 26 mars 2025 souligne la nécessité pour les employeurs d’effectuer systématiquement les vérifications nécessaires lors de l’embauche ou de la reprise de salariés exerçant dans le cadre d’une profession réglementée.

Voici quelques recommandations pratiques :

  • Demander systématiquement une copie du diplôme ou du titre requis ;
  • Vérifier, le cas échéant, l’enregistrement auprès des ordres ou agences régulatrices (Ordre des pharmaciens, ARS, etc.) ;
  • Prévoir dans le contrat de travail une clause spécifique de condition suspensive liée à la vérification des qualifications ;
  • Réaliser des audits RH réguliers après des opérations de fusion ou de rachat d’entreprise.

Anticiper les risques en cas de carence antérieure

Si une irrégularité est détectée après plusieurs années de collaboration, l’employeur doit éviter toute précipitation. La faute grave ne peut être envisagée qu’en présence d’une intention frauduleuse démontrée ou d’un comportement actif de dissimulation. À défaut, seule une procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse pourrait être engagée, voire une régularisation par reclassement.

Une jurisprudence qui invite à la rigueur administrative

Par son arrêt du 26 mars 2025, la Cour de cassation rappelle aux employeurs que l’inaction prolongée face à une irrégularité connue ou accessible ne peut se muer en reproche disciplinaire d’une gravité suffisante. L’absence de diplôme, même dans le cadre d’une profession réglementée, ne justifie pas, en elle-même, un licenciement pour faute grave lorsque l’employeur a omis de procéder aux vérifications indispensables.

Cette décision, emblématique d’une jurisprudence constante, souligne la responsabilité de l’employeur dans la gestion de ses ressources humaines. Elle appelle à une vigilance accrue lors de l’embauche, et à une analyse circonstanciée des situations irrégulières anciennes, dans un souci de proportion et de sécurité juridique.