L'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 26 mars 2025 (n° 23-21.414) apporte un éclairage important sur les limites du pouvoir disciplinaire de l’employeur dans les professions soumises à réglementation. L’affaire opposait Mme M., engagée depuis 1998 en qualité de préparatrice en pharmacie, à son employeur, la société de pharmaciens d’officine Garrigues-Patry et Ligeard.
À la suite du rachat de l’officine en 2015, le contrat de travail est repris par la nouvelle structure. Trois ans plus tard, un contrôle de l’Agence régionale de santé (ARS) révèle que la salariée n’est pas titulaire du diplôme de préparateur en pharmacie. Après deux mises en demeure restées sans réponse, l’employeur engage une procédure de licenciement pour faute grave. Ce dernier estime que la salariée a manqué à son obligation de loyauté, tout en mettant en avant le risque pénal auquel il s’exposait.
Les juges du fond donnent raison à l’employeur, considérant que le défaut de diplôme, associé au silence de la salariée face aux demandes de justification, constitue une faute grave justifiant une rupture immédiate du contrat. Ils retiennent également que la salariée n’a jamais informé ses employeurs successifs de sa situation irrégulière.
Au visa de l’article L. 1235-1 du code du travail, la Cour de cassation rappelle qu’une faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, y compris durant le préavis. Elle ne peut être invoquée que si le comportement du salarié présente une gravité suffisante et immédiate.
En l’espèce, la haute juridiction relève que la salariée avait exercé ses fonctions pendant près de 20 ans sans diplôme, ce que l’employeur – tant initial que repreneur – n’avait jamais vérifié. Or, il appartient à l’employeur, dans le cadre de son obligation de vigilance, de s'assurer, au moment de l’embauche, de la validité des qualifications requises, en particulier lorsque le poste relève d'une profession réglementée comme celle de préparateur en pharmacie.
Cette position s’inscrit dans le prolongement de précédents arrêts. Déjà, la chambre sociale avait jugé que l’employeur ne pouvait se prévaloir de sa propre carence pour invoquer une faute grave (Cass. soc. 18 mai 2011, n° 09-68.704 ; Cass. soc. 9 juin 2017, n° 16-15.244). Dans la continuité, la Cour précise que la société ne saurait tirer argument de sa propre négligence pour reprocher un manquement au salarié.
L’article L. 4241-4 du code de la santé publique prévoit que seul un titulaire du diplôme de préparateur peut exercer cette profession et en porter le titre. Toutefois, l’illégalité de la situation ne suffit pas à elle seule à caractériser une faute grave, dès lors que l’employeur ne s’était jamais enquis de la qualification du salarié avant d’engager la procédure.
L’employeur soutenait que la salariée avait manqué à son obligation de loyauté, prévue implicitement dans tout contrat de travail. Pourtant, la Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle estime que le silence de la salariée ne peut être assimilé à une dissimulation active, dès lors que l’employeur ne lui avait jamais demandé de justifier de ses titres, ni au moment de l’embauche, ni lors du transfert du contrat.
De plus, l’ancienneté du contrat (près de 20 ans) et l’absence de contestation ou d’interrogation durant cette période démontrent que l’employeur a toléré, sinon validé, la situation contractuelle.
La Cour privilégie une lecture conforme au principe de sécurité juridique. Il serait, en effet, excessif de permettre à un employeur de licencier pour faute grave un salarié au seul motif qu’il ne dispose pas du diplôme requis, alors même qu’il n’a jamais exigé de preuve au préalable. Ce raisonnement protège également la bonne foi du salarié et s’inscrit dans une logique d’équilibre des obligations réciproques dans le contrat de travail.
L’arrêt du 26 mars 2025 souligne la nécessité pour les employeurs d’effectuer systématiquement les vérifications nécessaires lors de l’embauche ou de la reprise de salariés exerçant dans le cadre d’une profession réglementée.
Voici quelques recommandations pratiques :
Si une irrégularité est détectée après plusieurs années de collaboration, l’employeur doit éviter toute précipitation. La faute grave ne peut être envisagée qu’en présence d’une intention frauduleuse démontrée ou d’un comportement actif de dissimulation. À défaut, seule une procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse pourrait être engagée, voire une régularisation par reclassement.
Par son arrêt du 26 mars 2025, la Cour de cassation rappelle aux employeurs que l’inaction prolongée face à une irrégularité connue ou accessible ne peut se muer en reproche disciplinaire d’une gravité suffisante. L’absence de diplôme, même dans le cadre d’une profession réglementée, ne justifie pas, en elle-même, un licenciement pour faute grave lorsque l’employeur a omis de procéder aux vérifications indispensables.
Cette décision, emblématique d’une jurisprudence constante, souligne la responsabilité de l’employeur dans la gestion de ses ressources humaines. Elle appelle à une vigilance accrue lors de l’embauche, et à une analyse circonstanciée des situations irrégulières anciennes, dans un souci de proportion et de sécurité juridique.