Télétravail et domicile du salarié : dans quels cas une indemnité peut-elle être due ?

À retenir sur l’indemnité liée au télétravail à domicile

  • ✅ Le salarié peut réclamer une indemnité s’il travaille à domicile sans qu’un poste de travail lui soit proposé dans l’entreprise.
  • ✅ Cette indemnité, dite "d’occupation", est différente des remboursements de frais professionnels (connexion, électricité...).
  • ✅ La jurisprudence récente ouvre la voie à une indemnisation dès lors que le télétravail est formellement convenu entre les parties.
  • ❌ En revanche, aucune indemnité n’est due lorsque le salarié choisit volontairement de télétravailler, alors qu’il a accès à un local professionnel.

L’occupation du domicile n’est pas une obligation contractuelle

Le respect de la vie privée comme limite au pouvoir de direction

Le droit du travail ne prévoit pas que le salarié doive mettre à disposition son espace personnel pour exécuter son contrat. Selon l’article L. 1121-1 du Code du travail, toute atteinte à la vie privée du salarié doit être justifiée par les tâches à accomplir et proportionnée à l’objectif poursuivi.

⚖️ Par conséquent, en l’absence de circonstances particulières ou de consentement, l’employeur ne peut exiger que le salarié télétravaille depuis chez lui.

Les situations où l’employeur est tenu de verser une indemnité d’occupation

Imposition du domicile par l’employeur : un motif d’indemnisation reconnu

Lorsque l’entreprise sollicite explicitement le salarié pour qu’il effectue ses missions à domicile, la Cour de cassation considère qu’il s’agit d’une immixtion dans la vie privée, créant un droit à indemnisation.

  • Cass. soc., 7 avril 2010, n° 08-44.865
  • Cass. soc., 14 septembre 2016, n° 14-21.893

La mise à disposition d’un espace privé pour des besoins professionnels doit alors être compensée financièrement, même en l’absence de clause spécifique.

Absence de poste de travail disponible dans l’entreprise

Dans d’autres affaires, le salarié ne disposait d’aucun bureau dans les locaux de son employeur. La Cour a considéré qu’il était contraint d’exercer à domicile. Ce défaut de moyens équivaut à une contrainte et justifie une indemnité d’occupation.

  • Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 11-20.502
  • Cass. soc., 8 novembre 2017, n° 16-18.499

A lire : est-il possible de télétravailler depuis un pays étranger ?

L’influence croissante du cadre juridique du télétravail

Une jurisprudence récente aux implications nouvelles

Par un arrêt remarqué du 19 mars 2025 (n° 22-17.315), la Cour de cassation a élargi son raisonnement en se référant pour la première fois au régime juridique du télétravail (article L. 1222-9 du Code du travail), même si cette notion n’était pas expressément en cause dans le litige.

Elle en tire une règle générale : le fait que le salarié télétravaille de manière convenue, même partielle, justifie une indemnité pour l’occupation de son domicile, sauf si un poste de travail lui a été proposé et refusé.

Cette position a été confirmée quelques jours plus tard dans l’arrêt du 2 avril 2025 (n° 23-22.158).

📌 Ces décisions suggèrent que le simple accord sur le télétravail pourrait suffire à ouvrir droit à indemnisation, sans que le salarié ait à démontrer une demande explicite de l’employeur.

Télétravail choisi : une exception à l’indemnisation

Le salarié volontaire n’est pas en droit d’exiger une compensation

L’arrêt du 4 décembre 2013 (n° 12-19.667) précise une limite importante : lorsqu’un salarié choisit de télétravailler alors qu’un bureau est disponible dans l’entreprise, il ne peut prétendre à aucune indemnité d’occupation.

L’argument repose sur la logique du consentement : le salarié assume volontairement l’utilisation de son domicile, ce qui exclut toute compensation.

Télétravail imposé en cas de force majeure : un régime spécifique

Le cadre légal des situations exceptionnelles

L’article L. 1222-11 du Code du travail prévoit que, dans certaines situations (épidémie, menace grave, force majeure), l’employeur peut imposer le télétravail sans accord préalable.

Dans ce cas, le salarié ne choisit pas librement cette modalité d’organisation. La jurisprudence ne s’est pas encore prononcée clairement, mais une demande d’indemnisation pourrait être recevable au titre de l’absence de local professionnel et de l’immixtion dans la vie privée.

À ne pas confondre : indemnité d’occupation et frais professionnels

Deux obligations distinctes à la charge de l’employeur

Il est essentiel de bien distinguer :

  • Les frais professionnels (connexion internet, chauffage, mobilier) : ils doivent être remboursés intégralement si le télétravail est imposé ou convenu (cf. ANI 2005 et 2020).
  • L’indemnité d’occupation du domicile : elle concerne l’usage physique du logement personnel pour l’activité professionnelle, indépendamment des frais engagés.

💡 Ainsi, un salarié peut être indemnisé à deux titres différents :
→ d’une part, pour ses dépenses ;
→ d’autre part, pour la mise à disposition de son espace privé.

A lire : un accident lors du télétravail est-il considéré comme un accident de travail ?

Comment faire valoir son droit à une indemnité pour le télétravail à domicile ?

Conditions à réunir

Le salarié doit démontrer :

  • Que le télétravail a été mis en place de manière formelle (avenant, charte, accord collectif) ;
  • Ou qu’il n’a eu d’autre choix que de travailler à son domicile, faute de local dans l’entreprise ;
  • Et qu’il utilise effectivement une partie de son domicile à des fins professionnelles.

Bonnes pratiques

  • Vérifier le contenu du contrat de travail et des accords internes ;
  • Réunir des éléments objectifs : attestation d’absence de bureau, photographies, durée d’occupation, estimation de la surface concernée ;
  • Adresser une demande écrite argumentée, avec référence à la jurisprudence.

A lire : surveillance des salariés en télétravail via un VPN, est-ce légal ?

Une reconnaissance de l'indemnité d'occupation croissante mais encore encadrée

L’indemnité d’occupation du domicile en cas de télétravail est désormais reconnue par la jurisprudence, même dans les cas où le télétravail résulte d’un simple accord.

Toutefois, elle ne s’applique ni de manière automatique, ni lorsque le télétravail est choisi de façon unilatérale par le salarié.
Les conditions de fond (accord, absence de local) et les preuves concrètes restent indispensables pour faire valoir ce droit.

Pour les employeurs, cela suppose de formaliser rigoureusement la mise en place du télétravail, et pour les salariés, de documenter leur situation avec précision.