En résumé
La communication de données personnelles dans le cadre d’un procès pose des questions complexes où se croisent droit à la protection des données, garanties du procès équitable et respect du contradictoire. L’arrêt de la Cour de cassation, deuxième chambre civile, en date du 3 octobre 2024 (n° 21-20.979), illustre ces enjeux. Cet article explore les principes qui encadrent la production de documents contenant des données personnelles dans une procédure judiciaire, en s’appuyant sur les dispositions du RGPD et sur la jurisprudence française.
L’article 6 du RGPD pose les fondements de la licéité du traitement des données personnelles, en énumérant les cas où celui-ci est autorisé. Dans le cadre d’un litige, le traitement est justifié lorsque :
En matière prud’homale, ces bases légales trouvent leur application lorsque la communication de pièces contenant des données personnelles est indispensable pour garantir l’égalité des armes entre les parties.
Le droit à la preuve, consacré par l’article 9 du Code civil, permet à une partie d’un litige de produire tous éléments nécessaires à la défense de ses intérêts, y compris des documents contenant des données personnelles. Cependant, ce droit n’est pas absolu. Il doit être mis en balance avec les exigences de protection des données personnelles, conformément au principe de proportionnalité.
La Cour de cassation, dans son arrêt précité, rappelle que le juge doit vérifier si la communication des pièces demandées est indispensable à l’exercice du droit à la preuve. À cet égard, il incombe au demandeur de justifier en quoi les documents sollicités, tels que des bulletins de salaire ou des historiques de carrière, sont pertinents pour établir une discrimination ou une disparité de traitement.
Dans cette logique, les pièces ne doivent être demandées que si leur contenu est directement lié à l’objet du litige. Une demande générale, sans lien précis avec les faits allégués, pourrait être rejetée au titre du respect du principe de minimisation.
L’article 5, §1, point c) du RGPD impose que les données personnelles des salariés traitées soient « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire ». Le principe de minimisation des données joue un rôle clé dans les contentieux judiciaires. Concrètement, cela signifie que seules les informations strictement nécessaires à la résolution du litige peuvent être communiquées.
La Cour de cassation insiste sur l’obligation pour le juge d’ordonner, au besoin d’office, l’occultation des données non essentielles, telles que l’adresse personnelle ou le numéro de sécurité sociale figurant sur un bulletin de paie.
La protection des données personnelles, bien que fondamentale, n’est pas un droit absolu. Selon le considérant 4 du RGPD, elle doit être mise en balance avec d’autres droits fondamentaux, notamment le droit à un procès équitable et à la preuve (art. 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme). La jurisprudence européenne et française converge pour affirmer que l’atteinte à la vie privée peut être justifiée si elle est proportionnée au but poursuivi.
La Cour de cassation rappelle que les salariés dont les données personnelles sont communiquées dans un litige n’ont pas à être appelés en justice, sauf si leur situation juridique est indivisible de celle du responsable du traitement. Cependant, leurs droits sont protégés par l’obligation pour le juge de veiller à la confidentialité des données et à leur usage exclusif dans le cadre de la procédure.
Dans l’arrêt du 3 octobre 2024, un salarié invoquait une discrimination syndicale et demandait la production des bulletins de salaire et historiques de carrière de plusieurs collègues. La Cour de cassation valide cette demande, estimant que ces pièces étaient indispensables pour établir une comparaison entre la trajectoire professionnelle du salarié et celle de ses collègues.
Cependant, la Haute Juridiction impose des limites strictes. Le juge doit ordonner l’occultation des mentions non pertinentes (par exemple, les heures supplémentaires ou les primes sans lien avec la discrimination alléguée) et restreindre l’utilisation de ces données au cadre du litige.
A lire : quelles sont les obligations des employeurs et salariés en matière de transparence sur la rémunération ?
Le juge doit non seulement vérifier la pertinence des pièces demandées, mais également :
Bien que rendu dans un contexte prud’homal, l’arrêt de la Cour de cassation pose des principes applicables à l’ensemble des contentieux civils. Le contrôle de proportionnalité et le respect du principe de minimisation s’imposent dans toutes les affaires impliquant des données personnelles, qu’il s’agisse de discriminations, d’inégalités de traitement ou d’autres litiges nécessitant une production de pièces.
Les employeurs doivent anticiper les demandes de production de documents contenant des données personnelles et veiller à leur conformité avec le RGPD. De leur côté, les juges sont tenus d’exercer un contrôle rigoureux sur la nature et l’étendue des pièces demandées, afin de protéger les droits des parties tout en garantissant le droit à la preuve.
La décision de la Cour de cassation du 3 octobre 2024 marque une étape importante dans l’articulation entre le RGPD et le droit à la preuve. Elle réaffirme la nécessité de protéger les données personnelles tout en permettant aux justiciables de défendre leurs droits. Cet équilibre repose sur des principes clairs : la minimisation des données, le contrôle rigoureux du juge et la proportionnalité entre atteinte à la vie privée et nécessité probatoire.
Les employeurs, les avocats en droit du travail à Versailles et les magistrats doivent intégrer ces règles dans leurs pratiques pour garantir des procédures conformes au RGPD tout en respectant les droits fondamentaux des parties et des tiers concernés. Le respect de ces exigences contribue à renforcer la confiance dans le système judiciaire et à protéger les libertés individuelles dans un cadre démocratique.